Sa main glisse vers la mienne et elle la presse fort, les larmes aux yeux. Elle secoue fébrilement la tête, les lèvres tremblantes. Ses doigts effleurèrent alors mes deux épaules puis mon front, et sa voix brisée perça le silence.

-Que Dieu te bénisse.

   Son regard vide croise le miens et mal à l'aise et le coeur en miette, je détourna la tête. Consciente que de rester plantée devant elle n'arrangera rien, je fis volte-face et ouvris la porte à la volée. Après qu'Adan est parti, lorsqu'il m'a sauvé la vie en tuant cet homme du Parti Rouge, j'ai déplacé les trois corps des hommes dans les buissons un peu plus loin, afin de ne pas attirer la curiosité. Aussi étrange que cela puisse parraître, Mama m'avait aidé.

   L'arme chargée et prête à l'emploi, je parcours les ruelles silencieuses de la favela. Pourtant, un bourdonnement sourd se fait entendre dans toute la favela et des bruits de balles fusent par moment. Ce silence est extrêmement pesant, si bien que je me mets à courir. Mes crampes d'estomac qui s'étaient légèrement calmées semblent s'être multipliées et je redouble d'efforts pour garder une allure rapide et discrète. Pour une raison étrange, mon coeur se met à tambouriner et ma respiration se fait lourde, comme un râle. J'ai l'impression d'être épiée et je dois avouer que je me sens étrangère dans ces rues, ces rues qui ont pourtant bercées mon enfance. Bientôt, je cours comme une déjantée, comme si quelqu'un m'appelait derrière et m'ordonnait de m'arrêter. Je sais bien qu'il n'y a personne, je crois être devenue paranoïaque. Le pire dans l'histoire, c'est que je ne sais même pas où je vais. Je me demande même quelle sera ma réaction si je tombe sur quelqu'un. Aurais-je la capacité de différencier la personne entre le Premier Commando Militant de Caylan, et le Parti Rouge d'Eliott Ramoz? Devrais-je fuir ou tirer? 

   Une odeur de brûlé me parvient et l'air devient pesant et lourd. Très vite, je compris pourquoi: au fond d'une ruelle, des flammes m'agressent la vue et semblent caresser les casas aux alentours. Je m'apprête à faire demi-tour et réalise que je suis cernée par les  flammes. En courant, je n'ai même pas réalisé que je me dirigeais vers le Secteur Est, et me voilà piégée à un carrefour donnant sur trois ruelles en feu. Je fis un pas en arrière, mon coeur se mit à ralentir et ma poitrine se souleva comme si je manquais d'air. Et effectivement, je manquais d'air. Sans même que je le remarque, une épaisse fumée noire gagnait en terrain et s'approchait inexorablement de moi. 

   Et alors que je me croyais perdue, une silhouette apparu au dessus de moi, sur le toit d'une casa. En contre-jour et parmi les flammes, on aurait dit un ange vengeur venu des cieux sur terre. La personne se pencha et me tendit la main. Sans réfléchir à quoi que ce soit - par exemple à quel camp cette personne pouvait bien appartenir - j'attrapa sa main et la silhouette me hissa sur le toit, non sans difficulté. Je manqua par deux fois de tomber en arrière et d'entraîner la personne avec moi, je dû prendre appui sur le mur de la casa. 

   Une fois sur le toit, la silhouette me fit face et je découvris Samuel, le grand frère de Polo. Je ne lui ai jamais vraiment parlé, mais nous nous sommes déjà croisés au terrain. A la différence de son frère, il n'a pas de dreadlocks mais les cheveux rasés. Mise à part ça, c'est son portrait craché. Il resserre sa prise autour de mon poignet avant de se mettre en route. 

-Viens, il ne faut pas rester ici, tout le Secteur Est est en feu. Ce n'est plus qu'une question de temps avant que les flammes ne nous encerclent.

Bientôt, nous nous mettons à courir. Par chance, les ruelles sont étroites et l'espace entre chaque toit est mince. Ainsi, nous pouvons aisément sauter entre les casas et au bout d'une dizaine minutes de courses effrénées, nous nous éloignons du Secteur Est. Je réalise alors les bruits de balles se sont rapprochés. Je dois absolument savoir ce qu'il en est de la situation avant d'entreprendre quoi que ce soit.

La Favela du Crime - Tome 1Where stories live. Discover now