67- "Préoccupations"

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                                        ~ Westchester, New York, USA, 17 Novembre 1972 ~   

    Les interrogations commencent à se bousculer dans ma tête, ce qui fait encore augmenter l'inquiétude qui s'installe en moi. Seulement je n'ai pas le temps d'y songer plus, qu'Erik se met à bouger, ce qui me sort de mes pensées. Il prend appuie sur sa main droite, qu'il pose à côté de son bassin, puis d'un geste, il envoie ses deux jambes de telle sorte qu'il se retrouve assis face à moi, sur le bord de la table. Il a l'air très déterminé, mais cela n'est toutefois pas suffisant pour cacher ses grimaces de douleur. De plus, cela fait plusieurs jours qu'il n'a pas du tout bougé, et je pense immédiatement à ses muscles qui doivent être ankylosés. Cela doit encore augmenter la souffrance qu'il ressent. Il n'arrivera jamais à tenir debout tout seul dans cet état. S'il essaye de se lever il va simplement s'écrouler, et partir violemment à la rencontre du sol. Je me rapproche donc vivement de lui, dans l'optique de l'empêcher de se mettre debout. Je saisis de mes mains chacune de ses épaules, et le repousse pour qu'il reste assis sur la table.

"- Mais qu'est-ce que tu fais ? me demande-t-il aussitôt, incrédule.

- Tu n'es pas encore rétabli, tu dois rester allongé le temps qu'Hank s'occupe de toi, et que ton corps retrouve ses forces, lui intimai-je immédiatement sur le ton de l'ordre.

- Je n'ai pas le temps de me préoccuper de cela. Il faut que je vois immédiatement les autres, se révolte-t-il. Je veux savoir comment ils vont.

- Lorsque tu seras rétabli, tu auras tout le temps de leur rendre visite, continuai-je sans fléchir."

    Je vois bien que cela l'énerve, et qu'il n'est pas enclin à faire ce que je lui demande. Seulement je ne compte pas lui laisser le choix car cela n'était pas une suggestion, mais un ordre. Erik peut se montrer déterminé, mais il n'est pas le seul dans ce cas-là. Je serre encore plus fermement ses épaules pour lui montrer que je ne compte absolument pas le laisser faire. Nous commençons alors à nous jauger du regard pour savoir lequel de nous deux fléchira en premier. Cela me rappelle un jeu que je faisais autrefois avec ma cousine. C'était celle qui détournait le regard en première qui perdait. Seulement à cette époque il n'y avait pas de réel enjeu, alors qu'aujourd'hui c'est important qu'Erik se laisse convaincre. Nous restons ainsi pendant quelques minutes, puis Erik pousse un grand soupir, et s'affaissant sur lui-même, et en baissant le regard. J'enlève alors mes mains de ses épaules. J'ai toujours été très forte à ce jeu. J'ai presque envie de rigoler, en me remémorant les multiples parties que j'ai faite autrefois, et à quel point nous ressemblons maintenant à des enfants, seulement je n'en fais rien à cause de l'expression défaitiste et déçue d'Erik.

    Hank s'avance vers Erik, sans doute pour se rendre compte lui-même de l'état des blessures de ce dernier. Il appose ses mains sur le dos d'Erik, et commence à enlever les bandages qui lui entourent le tronc. Celui-ci ne dit rien, et reste immobile en attendant le verdict du mutant qui s'occupe de lui. Je suis du mauvais côté de la table, et ne peux donc voir l'état des plaies du dos d'Erik. Seulement, je peux distinguer sur les traits de celui-ci que cette opération le fait souffrir. Ceci est d'ailleurs confirmé par la pression qu'exerce le mutant sur ses mains pour tenter de contenir et de cacher sa douleur. Je sais bien qu'il en a vu d'autres, et que c'est pour cette raison qu'il ne dit mot, mais après ce que j'ai vu dans son esprit il n'est plus obligé de faire ces simagrées pour se montrer fort. Je porte alternativement mon regard sur l'expression inquiète et sérieuse d'Hank, puis sur celle douloureuse et contenue d'Erik. Le premier n'a toujours rien dit, et j'attends impatiemment son verdict, même si je me doute qu'il ne sera pas des meilleurs. Tandis que le dernier porte son attention sur un point fixe, comme pour essayer de penser à autre chose qu'à la souffrance qui vient de son corps.

"- Comment vont les autres ? me demande soudainement la voix d'Erik, sans même relever le regard vers moi."

    Je suis d'abord surprise par cette question soudaine, puis je trouve cela plutôt malin de sa part. S'il ne peut pas aller voir comment se portent les mutants qui étaient emprisonnés avec lui, il peut toujours avoir des informations par l'intermédiaire d'autrui. Seulement je ne lui réponds pas de suite, pour la simple et bonne raison que je ne sais pas comment lui annoncer. Erik n'est pas stupide, et s'il est pressé de connaître l'état des autres, c'est parce qu'il sait qu'ils ont, eux aussi, été torturés. Alors si je veux éviter qu'il ne s'énerve trop, il faut que je choisisse minutieusement les mots que j'emploie.

"- Certaines de tes plaies se sont rouvertes lorsque tu as bougé, mais rien de grave, intervient Hank, en continuant de vérifier les blessures d'Erik."

    Je souffle intérieurement, soulagée par cette intervention inopinée qui distraie Erik durant quelques secondes. Hank est très concentré dans ce qu'il fait, et se retourne pour ouvrir un tiroir de l'armoire qui se trouve derrière lui, et en sortir de nouvelles bandes. Il se munit aussi de compresses, d'une paire de ciseaux, et de scotch médical. Puis sans même prévenir Erik, il se met à lui apposer les premières compresses sur ses plus grosses blessures. Seulement le blessé n'est pas resté occupé par cet événement bien longtemps, et redresse la tête vers moi. Il se met alors à me fixer, le regard pressant. Cela ne m'aide pas à trouver mes mots, bien au contraire. Cependant, je sens qu'il faut que je me lance si je ne souhaite pas qu'Erik s'énerve.

"- Eh bien...Mystique s'est rétablie assez rapidement, et a très vite pu quitter les salles de soins. Elle passe son temps à veiller sur ceux qui ne sont pas encore debout, ou à se reposer dans sa chambre. Nous avons fait en sorte qu'aucune personne qui n'était pas encore rétablie ne soit seule, au cas où s'il y avait un problème, lui expliquai-je en détaillant bien pour éviter qu'il ne m'interrompe toutes les deux minutes pour avoir des précisions. Emma est plutôt en forme, et n'a quasiment plus de séquelles de son...séjour. Elle a passé beaucoup de temps à ton chevet. Cependant, Azazel est plus touché, commençais-je en douceur en espérant qu'il garde son calme. Contrairement à toi il s'est réveillé depuis un moment, mais il n'arrive malheureusement pas à rester dans cet état bien longtemps, et sombre de nouveau. Toutefois, ses moments de conscience sont de plus en plus nombreux, et durent plus longtemps, et Hank a bon espoir qu'il se rétablisse prochainement, finis-je sur une touche positive en espérant qu'il y pense avant de s'énerver."

    Erik ne dit rien, et continue de me fixer, mais son regard s'est durci par rapport à tout à l'heure. Je comprends alors que ça ne va pas être aisé de l'empêcher d'agir en suivant ses pulsions vengeresses. Toutefois, il garde étonnamment son calme, et n'envoie pas tout valser comme je m'y attendais, même s'il serre sa mâchoire et ses poings. Je crois qu'il essaie de se canaliser, mais ce qui me fait peur c'est le moment où le barrage en lui explosera...

"- Très bien, dit-il simplement d'une voix froide. Et pour Angel ? "

    Je ne m'attendais pas à cette question, et suis encore plus démunie face à celle-ci. Même s'il se contrôle pour l'instant, je vois clairement qu'il est énervé. Qu'est-ce que je peux lui dire sans attiser sa colère ? Tout d'abord je choisis de ne surtout pas lui parler du traitement que la mutante a subi. Cela n'amènerait vraiment rien de bon. Et je décide alors de lui donner simplement un moyen de la pleurer, pour qu'il enlève de lui la culpabilité qui le ronge.

"- Si tu veux aller la voir, nous l'avons enterrée de l'autre côté de la maison, dans le jardin, dis-je d'une voix affaiblie par l'émotion de ces souvenirs, et la peur de la réaction d'Erik.

- Enterrée ?! s'exclame ce dernier, les yeux exorbités. Pourquoi...pourquoi avoir...qu'est-ce qui s'est passé ?!! explose Erik en laissant sortir toute sa colère."

L'un ne va pas sans l'autreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant