49- "L'après-midi"

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                                                 ~ ville de Phoenix ,USA, 1924 ~ 

    Mon esprit sortait lentement de son inconscience tandis que je retrouvais les sensations de l'extérieur. J'étais allongée, et me sentais encore bercée par le sommeil qui m'avait assailli il y a de cela plusieurs heures. J'ouvrais progressivement mes paupières. Pendant cette action, mes yeux avaient rencontré la lumière du soleil. Celle-ci s'était mise à m'aveugler, et j'avais levé mon bras gauche pour calmer la brûlure qui provenait de mes yeux. Progressivement, mes yeux s'adaptaient à la lumière, et je put alors enlever la barrière que j'avais érigée entre celle-ci et moi. Mes sens commençaient eux aussi à sortir de leur léthargie tandis que j'observais les nuages défiler dans le ciel. Je reposais mon bras gauche sur le sol, et se faisant, sentis la pression sur l'herbe douce. C'était un peu froid, mais pas désagréable non plus. Au contraire, cela me réveillait un peu, et ravivait mes sensations. De plus, j'humais les différents parfums qui me parvenaient aux narines. C'était ceux des fleurs avoisinantes, comme les tulipes et les œillets. Ces perceptions me faisaient sourire. J'adorais sentir la nature qui m'entourait. Elle m'aidait à être plus apaisée, plus sereine. Avec elle je pouvais laisser mon imagination vaguer, je n'était plus sous les contraintes extérieures.

    Soudain je sentis de l'eau gicler de part et d'autre sur mon corps. Je me redressais alors immédiatement en position assise, en espérant qu'il ne pleuvait pas. Mais bon, même s'il avait plu, je crois que ça ne m'aurait même pas dérangé tellement j'étais bien. C'est en m'asseyant que j'apercevais son sourire tandis qu'il me lançait de l'eau. C'était la première chose que j'aperçu de lui. J'adorais le voir comme cela, le voir si joyeux. Et j'étais encore plus ravie du fait qu'il soit toujours aussi radieux. J'étais si fière de son sourire, fière de lui, fière qu'il soit mon petit frère...Il continuait de lancer de l'eau sur moi, et je levais alors les bras devant moi pour empêcher celle-ci de m'atteindre. Je savais bien que cela était inutile mais c'était à ce moment-là un réflexe. Et puis cela nous amusait tous les deux. Je me mettais immédiatement à rire, moi aussi, comme si celui de mon frère était contagieux. 

"- Viens jouer avec moi, me demandait-il sur un ton suppliant."

    Je rigolais encore plus fort, et faisais non de la tête, rien que pour l'embêter. Je le connaissais par cœur. Je savais parfaitement qu'en faisant cela il allait sortir de l'eau pour essayer de m'entraîner vers celle-ci. Comme je l'avais prévu, il s'approchait bel et bien de moi, en faisant de petits pas. A cinq ans il était déjà très débrouillard, et savait exactement quoi faire pour que je fasse ses quatre volontés. En même temps il était si mignon avec sa petite bouille, et ses grandes iris bleus que n'importe qui était obligé de craquer devant lui. Et j'avais déjà constaté qu'il en était bien conscient. Dans quelques années il serait terrible. D'un coup, les mains glacées de celui-ci sur mon bras droit me sortirent de mes pensées. Je l'attrapais au ventre grâce à mes mains, et l'amenais vers moi. Ensuite je le fis tourner pour qu'il soit dos à moi. Et enfin je commençais à le chatouiller. Il se mit alors à gigoter dans tous les sens, et à se débattre tout en rigolant, pour que je le lâche, chose que je ne fis bien sûr pas. Je continuais à l'embêter ainsi durant quelques minutes, puis je me décidais enfin à le lâcher. Seulement il ne s'extirpait pas immédiatement de mon emprise. Au contraire, il se tourna sur le côté, puis me prit dans ses bras pour me faire un câlin. Je lui rendais de suite son étreinte, en pensant une nouvelle fois à la fierté et à la joie que sa présence me procurait. Soudain il s'en extirpa d'un coup, et se mit à courir autour de moi en me sommant de me lever et d'aller avec lui dans l'eau. Je souriais de plus belle, et pris appuie sur mes mains pour me mettre debout. Mon frère se précipita immédiatement vers moi, et saisit ma main pour me traîner vers le courant d'eau devant nous.

"- Arrête, tu vas m'arracher le bras, déclarai-je, toujours en rigolant."

    Seulement ça ne le fit pas changer d'un poil, mais ça n'était pas vraiment important. Son attitude ne faisait pas rire que moi. En effet, je pouvais maintenant voir mes parents qui étaient assis sur des chaises le long de la rive. Tous les deux avaient un immense sourire gravé sur leur visage à cause des réactions de mon frère, et des miennes. Ce genre d'attitude leur arrivait souvent. Heureusement nous ne nous disputions quasiment jamais, et cela nous évitait de nous faire gronder par nos parents. De plus, ceux-ci nous laissaient faire nos propres expériences de la vie, ce que je trouvais très agréable, et qui nous permettait une plus grande liberté. Quoi qu'il en soit, je me trouvais maintenant moi aussi au bord de l'eau. Mon frère m'avait lâché la main pour plonger entièrement dans celle-ci. Je m'avançais alors vers la rivière, et y posais mon premier pied qui était déjà déchaussé. L'eau n'était pas glacée, surement grâce au soleil qui avait dû la réchauffer durant toute la journée. Entrer dedans était alors vraiment agréable, et je plaçais immédiatement mon deuxième pied dans l'eau. Je fus alors aspergée d'eau par mon frère qui voulait soit m'encourager à rentrer plus vite dans la rivière, soit que je me dépêche d'aller jouer avec lui. Je rigolais de plus en plus, amusée par son comportement.

                          ~ Westchester, New York, USA, 8 Novembre 1972 ~  

Je me relève d'un coup en position assise. Je peine à respirer, et mon cœur s'emballe dans ma poitrine. Je m'appuie sur ma main droite que je pose derrière mon dos, tandis que je mets mon autre main au niveau de mon cœur pour essayer de le calmer. Cela me permet aussi d'apaiser ma respiration, et après quelque temps je réussis enfin à me maîtriser. Cet événement...je m'en souviens comme si c'était hier. En même temps, comment pourrais-je oublier le jour ou ma vie à basculée du tout au tout ? C'était une journée qui s'annonçait si bien. Nous avions passé un jour très agréable au bord de l'eau, et il ne restait qu'une petite heure avant que nous arrivions enfin chez nous. Nous étions si heureux jusque-là. Mais ensuite il y eut cet accident, et je les perdis tous. Mes parents, mon frère, David, et ma vie entière.

L'un ne va pas sans l'autreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant