L'un ne va pas sans l'autre

52-"Angel"

                                ~ Westchester, New York, USA, 8 Novembre 1972 ~ 

    J'entends derrière moi les sanglots de Hank, et devine sur ses joues les larmes qui coulent. D'un coup il pousse un cri de souffrance qui déchire le silence, et mon cœur. J'ai l'impression que c'est tout mon être qui est comprimé tandis que j'observe le corps, inerte, d'Angel. Je suis incapable de faire le moindre geste, ou bruit tellement cette vision me glace le sang. Je suis même surprise de constater, au bout d'un moment, que je suis en apnée depuis cette découverte. En venant ici je ne m'attendais pas du tout à trouver cela. Ils ont déjà fait des choses monstrueuses, mais là, ça dépasse l'entendement. Surtout qu'elle n'était pas immortelle, elle. J'étais sûre qu'ils ne les tueraient pas pour cette raison, pour pouvoir continuer d'analyser leurs facultés. Mais je me suis amèrement trompée.

    Cette réflexion à moi-même, me fait serrer les poings. Toutefois je me rappelle d'un détail dont à parlé Hank tout à l'heure. Ce bruit qu'il a entendu. Il venait d'ici, peut-être qu'un des tortionnaires d'Angel est encore dans les parages. Je la quitte des yeux, et ferme ceux-ci pour me concentrer, et tenter d'entendre un bruit. Après quelques secondes, j'arrive à repérer quelque chose qui vient de derrière l'endroit où se trouve Angel. Je décide donc de prendre mon courage à deux mains, et d'avancer vers l'origine du son. Je marche lentement, et fais ainsi le tour de la table sur laquelle se trouve la mutante. Après être arrivée derrière elle, je me fige. J'ai trouvé l'origine du son. Ce n'est pas une personne qui faisait du bruit. C'est le sang d'Angel. Je regarde le liquide qui s'accumule au sol, et relève lentement la tête pour en trouver l'origine. Une fois trouvée, je regrette instantanément cette initiative. La table est entièrement creuse au niveau de son dos.Là où étaient avant les tatouages d'Angel, ne se trouve plus que la chair à vive. Seuls des lambeaux de peaux partiellement arrachées et pendant à certains endroits sont encore présents. Mais ça n'est pas tout. Au milieu de chacune de ses omoplates, là où se trouvait avant sa ceinture scapulaire, il ne reste que des orbites creuses d'où sortent le sang, et les fragments de muscles. Ce sont les derniers vestiges de ses ailes. C'est ce même sang qui s 'abat par terre, tel une rengaine rappelant ce qu'ils lui ont fait.

    Soudain j'entends des bruits de pas se diriger vers moi. Leur rythme est lent, et sonne comme un écho au cliquetis du sang, dans un silence de plomb qu'ils sont les seuls à perturber. Les pas se rapprochent de moi, mais je suis incapable de bouger, ni même de regarder de qui il s'agit. Je suis obnubilée par cette mélodie lancinante qui semble appeler à la rébellion. C'est celle qui corrompt les Hommes, qui leur fait prendre les armes et qui les envoie tuer leurs semblables. Ils ont eu ses ailes alors ils n'avaient plus besoin d'elle. C'est le début d'un cercle vicieux et sans fin. 

"- Ils l'ont fait lorsqu'elle était encore en vie, s'exclame Hank, à ma droite, la voie remplie de sanglots et de haine."

    Il serre les poings de rage, et je vois les veines sur son visage apparaître et disparaître. Il a malheureusement raison. Si elle avait été morte, le sang ne coulerait pas. Cette nouvelle me fait l'effet d'un poids tombé dans mon estomac. Ils n'ont même pas pris la peine de lui épargner cette souffrance. Elle a dû agoniser là pendant ce qui lui a paru des heures. Pour enfin mourir de ses blessures. C'est horrible, mais dans ces cas-là, la mort est la meilleure chose qui soit.

"- Nous ne pouvons pas la laisser là, dis-je d'une voix enrouée par l'émotion."

    Hank acquiesce à ma remarque, et fait un pas vers le corps sans vie de la mutante. Seulement, il s'arrête immédiatement après celui-ci, les jambes tremblantes, et je comprends qu'il a besoin d'être aidé dans cette épreuve. Je m'avance donc à mon tour vers Angel, et saisi dans mes mains les chaines qui retiennent son poignet droit. Je commence à les dénouer, mais me rends vite compte qu'elles sont cadenassées. Je suis donc incapable de les démêler. Hank le remarque et j'ai à peine le temps d'enlever mes mains qu'il se saisit violemment de ces entraves. Si je ne l'avais pas vu arriver du coin de l'œil il m'aurait certainement broyé les mains dans sa précipitation. D'ailleurs c'est ce qui est arrivé aux chaînes. Hank a tiré tellement fort dessus que les maillons se sont rompus. Seulement au vu de son état de colère extrême, je préfère ne rien dire. Pendant qu'Hank va se charger des chaînes qui retiennent son autre poignet, je me mets à enlever la sangle qui enserre sa tête. Je pose ma main sur son front pour éviter que sa tête ne bascule vers l'avant. Puis maintient celle-ci tout en faisant le tour de la table. Elle n'est maintenant plus retenue que par les sangles qui se trouvent autour de son torse. Hank vient se placer à côté de moi, et la tient par les aisselles pour l'empêcher de tomber, une fois que ses dernières entraves auront été défaites. Après quelques secondes, c'est ce qui se passe, et Hank passe alors ses bras sous les genoux d'Angel pour la porter jusqu'au jet.

    Avant même que nous soyons arrivés à l'avion, je peux distinguer Charles au bord de la rampe de la soute. Je vois aux mouvements de sa tête qu'il cherche à distinguer ce que tient Hank dans ses bras. Malheureusement il se rend vite compte que c'est un corps, et sait qu'il est sans vie grâce à ses pouvoirs. Une fois que nous nous trouvons devant lui, je remarque aux yeux rouges de Charles qu'il a pleuré en comprenant. 

    Hank ne regarde même pas Charles, et rentre directement dans l'avion. Nous le suivons, et je le vois poser délicatement Angel par terre. Il la quitte ensuite pour aller chercher une couverture qui se trouvait le cockpit. Il la pose ensuite sur son corps, et reste pendant plusieurs secondes à l'observer ainsi. Il se lève d'un bond, et s'assoit à sa place dans le cockpit. Immédiatement après, il allume l'avion, et referme la soude sans même avoir vérifié si nous n'étions plus à l'extérieur. Charles s'avance précipitamment vers le siège qu'il occupait à l'aller, et s'y replace. De mon côté, je me réinstalle aussi sur le même siège qu'avant. Immédiatement après, le jet s'envole, et nous retournons à l'institut. Le trajet entier s'effectue dans un silence de plomb. Mon cœur est lourd dans ma poitrine, et je ne regarde pas Angel pour éviter qu'il explose. Nous nous posons au manoir de Charles, et Hank reprend de suite Angel dans ses bras pour la sortir de là. J'ai l'impression qu'ils se connaissaient déjà avant aujourd'hui.

"- Il faut que nous l'enterrions dignement, dit celui-ci d'une voix cassée par l'émotion, avant d'aller à l'extérieur."

    Je hoche la tête et sors moi aussi de l'avion, suivie de près par Charles. Hank dépose Angel sur le canapé du salon, puis part creuser la tombe de cette dernière. Je reste debout, immobile en plein milieu de la pièce, sans savoir quoi faire. Charles s'est, quant à lui, isolé dans le bureau qui se trouve à côté. Hank revient après à peine une dizaine de minutes. Il reprend le corps d'Angel dans ses bras, sans même me jeter le moindre regard. Je crois d'ailleurs qu'il n'a pas remarqué ma présence. Je me précipite alors vers l'endroit où se trouve Charles, et ouvre la porte de celui-ci.

"- Hank va l'enterrer, dis-je d'une voix faible."

    Charles est assis sur son fauteuil, les coudes posés sur le bureau, et la tête appuyée sur ses mains jointes. Il tourne la tête sur le côté, vers moi, et ne fait aucun geste, il se contente de me fixer, durant plusieurs secondes, dans les yeux. Je ne baisse pas le regard devant lui, et attends qu'il s'avance vers la sortie, pour le suivre. En effet, j'ignore où compte l'enterrer Hank, alors je suis bien obligée de laisser Charles être mon guide. Après plusieurs minutes de marche dans les multiples couloirs de l'institut, nous arrivons dehors, et je vois de loin Hank. Il tient toujours Angel dans ses bras, et semble nous attendre. Une fois à côté de lui, je m'aperçois qu'il a même eu le temps de confectionner une boîte en bois dans laquelle il pose le corps de la mutante. Lorsqu'il referme celle-ci, j'ai l'impression que c'est aussi une part de nous qui se trouve enfermée. Nous ne sommes plus que l'ombre de nous-même. Aucun de nous ne prononce mot, même pas pour faire d'éloge funèbre. Cette ambiance d'écrit bien ce que je ressens. Un grand vide. Je ne connaissais pas beaucoup Angel mais elle ne méritait pas de mourir ainsi. Seulement en pensant à elle, je ne peux m'empêcher de songer aux autres mutants qui sont toujours prisonniers. Je m'inquiète de l'état dans lequel ils se trouvent actuellement, et crains pour la vie de chacun. En voyant le cercueil s'enfoncer dans la terre je ne peux m'empêcher de penser que c'est de ma faute si elle est morte. Si je n'avais pas été épuisée hier, nous serrions allé les secourir de suite et nous aurions pu sauver Angel. Si j'avais été plus forte, elle serait toujours en vie. J'ai été naïve de croire que je pourrais tous les sauver.

  "- Comment ont-ils pu...commence Charles, qui se trouve incapable de finir sa phrase.  

  - C'est un avertissement, répondis-je froidement, en étant habitée par la rage."