Ombre & Lumière Tome 1

Chapitre 10

  - Ambroisie ?!

  La voix stridente de ma prof d'anglais interrompt mes rêvasseries.

  - Do you speak English ? Yeah ! Good ! Can you repeat the question, please ?

  - ...

  - No, you can't. Why ?

  - Because I... don't understand ?

  - Okay...

  Comment expliquer que je n'ai plus envie de travailler parce que je ne suis plus motivée ? Parce que, personne n'est motivé pour travailler à ce que je sais... et je n'ai pas d'excuse plus valable que celles des autres à fournir pour me justifier auprès des gens.

  J'en ai marre. Je ne sais même plus ce que je dis.

  Soudain je réalise que je n'ai pas de raison de vivre ; il me manque cette personne avec qui on veut avancer, cet objectif que l'on veut atteindre, ce rêve que l'on veut réaliser.

Je n'ai plus ce sourire qui donne la force de vivre.

Cette curiosité qui guide.

Cette envie qui repousse les limites.

Je n'ai pas la rage de vaincre. Juste une sensation de vide...

  Sur mon visage une expression terne, faisant penser à celle que l'on voit sur ceux qui font la gueule, ceux qui dépriment... sauf que moi c'est en permanence que je suis comme ça.

  Quand je me lève le matin, sous un jour nouveau, je me dis qu'il va se passer quelque chose de bien, qui va me sortir de mon quotidien, qui va... je ne sais pas, me faire changer ?

  Mais je ne veux pas changer.

  Et chaque soir c'est pareil. Je me couche en sachant que rien ne s'est passé lors de ma journée, que j'ai gâché ce qui aurait pu être le dernier jour de mon existence... puis je me dis que ce sera comme ça toute ma vie.

  Mais je n'ai pas à m'en plaindre. C'est ma faute. C'est mon choix. C'est ma vie. Et peut-être qu'un jour les choses seront différentes ? Même si j'en doute...

  Je crois que le seul moyen serait que je parte. Loin d'ici. Loin de chez moi. Loin de tout. Loin de ceux que j'aime, loin de mes repères...

  Faudrait qu'je parte là où les gens mènent la vie dure. Là où il n'y a pas de cadeau. Là où les gens savent que tout peut s'arrêter d'un moment à l'autre... mais prennent quand même des risques, car que serait  le danger si on ne pouvait pas l'approcher ? À quoi rimerait la peur si on ne pouvait pas l'éprouver ? À quoi servirait notre monde, si on ne pouvait pas en profiter.

  Et puis à quoi sert la liberté, s'il faut l'acheter ?

  Il faut que je parte.

  Si moi je ne peux pas changer alors c'est tout ce qui m'entoure qui doit changer. Je ne vois pas mon avenir différemment.

  Quand je pense à tout ça... qui d'autre que moi songerait à toutes ces choses ? À mon âge ?! Personne à ma connaissance...

  On est tous unique, mais moi je suis vraiment différente... Le monde que voient les gens me parait lointain... Mais en vérité c'est moi qui suis loin. Loin devant ou loin derrière ? Voilà une question à laquelle la réponse ne m'intéresse pas.

  Les jeunes normaux ont des rêves, des buts, des ambitions... Quand on leur pose la question : « Tu veux faire quoi plus tard ? » la réponse ne leur vient pas toujours tout de suite, mais ils en trouvent une, et ils savent qu'il y a un métier qui leur plairait bien de faire, ou du moins une orientation. Ce qui est sûr c'est qu'ils trouvent quelque chose qui pourrait les rendre heureux, un truc qu'ils aiment bien.

  « Tu te vois comment dans dix ans ? », à ça ils hésitent, ils voient pleins de réponses possibles... Moi en revanche je n'en trouve aucune. Plus les années passent, plus il m'est difficile de répondre. Comment faire un choix quand on ne voit pas d'options ? Il y a toujours une solution, me dirait-on, mais alors je ne ferais pas un choix, je prendrais une décision, nuance.

  On attend, j'attends de moi une réponse... Alors je me force. Je cherche. Ça me rend parfois malade. Souvent triste et nostalgique. C'est comme si je m'enfonçais un couteau dans le cœur... que je m'éloignais encore plus de moi, de mon passé...

  Puis je trouve... mais c'est vague.

  Dans dix ans je me vois loin.

  C'est la seule solution. À un problème qui, plus je grandis, plus se précise.

  C'est tout.