1/ Frère et sœur

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– C'est une blague ?! s'écria Clémentine. Tu crois réellement que je vais te laisser y aller tout seul ?

– Pas question que tu viennes ! Je ne peux pas enquêter et te surveiller en même temps !

– Je suis assez grande pour me surveiller moi-même, merci !

Les cris résonnaient entre les murs de la chambre. Ni Clémentine ni Barovi ne se donnaient la peine de les retenir puisqu'ils étaient seuls dans la maison, mais si quelqu'un les avait vus se disputer, cette personne aurait sans doute gagné un abonnement à vie dans le cabinet d'un psy. En effet, la vision qu'offraient l'adolescente et le monstre avait de quoi... surprendre. Mais contrairement à ce que pouvait laisser croire cet affrontement, tous deux étaient des amis de longue date.


Leur histoire avait commencé des années plus tôt, à l'époque où Clémentine n'était encore qu'une petite fille. Elle l'avait rencontré une nuit lorsque, en entendant un bruit inhabituel dans la forêt derrière la maison, elle s'était levée pour regarder par la fenêtre. Elle avait alors distingué, parmi les silhouettes noires des arbres, une paire d'yeux rouges qui se déplaçaient dans l'obscurité. Elle se serait sans doute cachée en tremblant si elle avait eu quelques années de plus, mais elle était encore trop jeune pour avoir peur de ce qu'elle ne connaissait pas. Plus intriguée qu'effrayée, elle était donc sortie par la fenêtre pour ne pas réveiller ses parents et avait couru vers le bois. Elle était curieuse de savoir à quel animal pouvaient appartenir ces yeux. Clémentine s'était enfoncée entre les arbres en appelant doucement la créature :

– Aie pas peur ! Je te ferai pas mal ! Où tu es ?

Elle avait marché un petit moment entre les troncs. Elle ignorait combien de temps exactement, mais ç'avait été suffisant pour la faire frissonner en se disant qu'elle aurait dû prendre un pull. C'est à cet instant-là qu'elle avait entendu un bruit derrière elle. Elle s'était retournée. Des yeux noirs aux iris rouges la fixaient. C'étaient ceux d'une créature énorme, toute violette, avec une ramure encore plus impressionnante que celle d'un cerf. Clémentine n'avait jamais rien vu de semblable. Comment appelait-on ces choses ?

– Tu as froid ? lui avait alors demandé la grande bête.

La fillette avait été surprise de l'entendre parler. Mais après tout, pourquoi pas ? Les animaux parlaient bien dans les dessins animés ! Ils avaient discuté ensemble jusqu'à ce qu'elle sente ses paupières s'alourdir. Barovi l'avait alors prise dans ses bras et ramenée chez elle en suivant le chemin qu'elle lui indiquait, puis elle avait regagné sa chambre pendant que son nouvel ami restait à l'orée du bois pour qu'on ne le voie pas. Tous deux s'étaient ensuite salués de la main avant que le monstre ne disparaisse entre les arbres et la petite sous les couvertures.

Le lendemain soir, Barovi était apparu juste à côté du lit. Comme ça, d'un coup. Clémentine en était tombée de sa chaise. Heureusement que ses parents étaient sortis car même eux auraient accouru avec le vacarme qu'elle avait provoqué ! Le monstre s'était penché vers elle et elle avait éclaté de rire en voyant à quel point il était inquiet et penaud. C'était ainsi qu'elle avait découvert à quoi ressemblait le passage d'un monde à l'autre. En effet, comme il le lui avait expliqué après s'être assuré qu'elle allait bien, il habitait dans l'ancien laboratoire d'une inventrice de génie qui y avait laissé certaines de ses inventions pour qu'il veille dessus. Parmi celles-ci se trouvait une machine permettant de changer d'univers. La tentation avait été trop forte. Lorsqu'il l'avait activée, il ne voulait que voir à quoi pouvait ressembler un monde parallèle. Il ne pensait pas se faire un ami. Et il avait rencontré Clémentine.


Tous deux étaient rapidement devenus très proches. La petite fille ne voyant pas beaucoup ses parents, elle avait accueilli cet ami tombé du ciel avec bonheur. Il faisait tout ce que son père et sa mère n'avaient pas le temps de faire : jouer avec elle, l'aider pour ses devoirs, lui lire des histoires, lui chanter des berceuses... Elle avait même fini par le considérer comme un grand frère. Le monstre, lui, s'était immédiatement pris d'affection pour cette enfant curieuse et vive. La voir délaissée par ceux qui étaient supposés l'élever le peinait beaucoup et il faisait donc tout ce qu'il pouvait pour qu'elle ne se sente pas seule. Il venait la voir aussi souvent que possible, se matérialisant dans sa chambre une fois le soir tombé. Ils avaient manqué se faire attraper à quelques reprises – notamment une fois où Barovi avait dû se cacher en catastrophe dans un placard qui le contenait à peine – mais ils étaient parvenus à garder le secret. Clémentine ne voulait pas que ses parents la séparent de son ami. Elle refusait de le perdre. Elle savait qu'elle pouvait lui faire confiance. Qu'il serait toujours là pour elle. Au cours des années qui avaient suivi, cette certitude n'avait jamais été démentie. Il lui avait appris à lire. Il la consolait lorsqu'elle en avait besoin. Il l'emmenait jouer dans les bois, où ils pouvaient rire sans craindre de réveiller personne. Clémentine avait donc grandi heureuse, constamment épaulée par son grand frère de cœur.

Le Cœur en FeuWhere stories live. Discover now