5/ La vie de château

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Le camping-car avançait à grandes enjambées de tentacules. A l'intérieur, Clémentine avala un morceau de galette – un équivalent du pain – et en apporta un autre à Barovi.

– Mm... Merchi, répondit celui-ci en mâchant.

Elle retourna s'asseoir sur le lit et reprit sa lecture. Au départ, elle ne s'était mise à explorer la bibliothèque que pour tuer le temps. Et puis, au fur et à mesure, elle s'y était plongée de plus en plus. Elle en apprenait davantage sur le monde de Barovi, sur ses histoires, sur son art, sur ses mythes, sur ses peuples... Cela présentait aussi l'avantage de lui occuper l'esprit. Dès qu'elle s'arrêtait, l'inquiétude revenait. Elle se demandait comment se sentait Barovi, s'il se remettait de sa crise de rage. Elle s'interrogeait sur une possible anormalité dans son propre cerveau, elle qui considérait un pétage de plombs comme une bonne chose, contrairement à tout le monde. Elle se posait des questions qui ne lui étaient jamais venues à l'esprit auparavant et elle détestait cela. Elle n'avait pas l'habitude de s'inquiéter. Elle songeait aussi parfois à sa maison et à ceux qu'elle avait laissés derrière en venant ici. Elle ne regrettait pas d'être venue, non, mais elle commençait à se demander quelles conséquences sa disparition avait bien pu provoquer.

Au bout d'un moment, lorsque la lumière à l'extérieur commença à décliner, Clémentine alluma celles de la machine. Elle en profita pour jeter un œil à la carte. Cela faisait cinq jours qu'ils traversaient le pays ! Quand donc arriveraient-ils à destination ? Le temps semblait si long ! Mais bon, il se pouvait que cela vaille le coup au final. Elle avait été très surprise quand Barovi lui avait expliqué qu'il voulait effectuer un détour avant d'aller en Inde. Venant de lui, c'était bien la dernière chose à laquelle elle s'attendait !

– Attends, attends... était-elle intervenue. Tu es en train de me dire que tu ne veux pas aller chercher Salomé maintenant, alors qu'on est tout près du but ?

– Grosso modo, oui.

– J'imagine qu'il y a une raison, mais tu serais sympa de me la donner parce que je ne comprends rien, là !

– Ecoute, nous nous sommes frottés à des mecs puissants. Nous avons eu de la chance jusque là, mais imagine ce qui arrivera après avoir délivré Salomé.

– Ah... Oui, il y a peu de chances pour qu'ils nous laissent tranquilles, c'est vrai.

– Ce n'est plus possible de foncer tête baissée, à l'aveuglette. Il faut faire tomber ces enflures, et pour ça, il nous faut le nom du grand patron !

– Et ce détour nous l'apprendra ?

– J'espère. Il y a à peu près dix ans, une courtisane, Maïjo, avait accusé un de ses clients de trafiquer des antiquités. Ça avait fait scandale à l'époque ! Finalement, lui a été blanchi et elle a été radiée de l'ordre des courtisanes. Avec ce que nous avons appris, il y a de fortes chances pour qu'elle ait dit la vérité. Salomé m'a raconté un jour qu'elle s'était exilée au Canada et était devenue pensionnaire du palais d'un harem de la côte est.

– C'est vague, comme indication.

– Il n'existe qu'un palais de ce genre dans la région.

Voilà comment ils s'étaient retrouvés à longer l'océan à travers ce pays. Tous deux avaient des doutes sur la réussite de cette entreprise, mais Barovi avait raison : ils ne pouvaient plus se permettre de foncer dans le tas. Ils devaient assurer leurs arrières.

Clémentine s'étira. L'inaction lui pesait. L'attente la faisait tourner chèvre.Elle n'en pouvait plus, elle voulait faire quelque chose ! Elle songea un instant à interroger de nouveau le cocon, mais celui-ci avait probablement déjà dit tout ce qu'il savait. Elle prit un des deux oreillers et le tritura nerveusement. On aurait dit un lion en cage. Soudain, elle sentit une curieuse excroissance sous ses doigts. Elle fouilla la taie et en extirpa une sorte de doudou en toile grossière. Son corps ne ressemblait qu'à un chiffon de cuisine tenu par le milieu, mais la tête avait fait l'objet de plus d'attention : cousue, pourvue de deux boutons en guise d'yeux et surmontée de trois cornes en tissu à la place des oreilles de nounours auxquelles la jeune fille était habituée. Il s'agissait clairement d'un jouet d'enfant. Elle le mit de côté pour demander plus tard d'où il venait. Ainsi, lorsque Barovi se gara pour la nuit et commença à préparer de quoi manger, elle le rejoignit et tendit devant ses yeux.

Le Cœur en FeuOpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz