Chapitre 2 : La Vision du Monde

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Le dîner s'était terminé dans un calme olympien et nous nous étions installés au salon où nos parents discutaient entre eux. Je devais avouer que ce genre de discussion qui traitait du système politique ne m'intéressait pas plus que ça, mais ils avaient gardé cette vieille habitude de surveiller le gouvernement et on ne peut défaire une habitude. Je m'emparais donc de l'enveloppe métallique du bouchon en liège de la bouteille de vin pour détruire sa torsade et remanier le fil métallique afin d'en faire un personnage ennuyé par la conversation et assis sur le bouchon de liège, le poing nonchalamment écrasé contre le maigre visage métallisé du personnage; le coude appuyé sur le genou droit, la cheville droite posée sur le genou gauche : une représentation parfaite de mon état d'esprit en ce moment, ennuyée.

-C'est bien fait, émit une voix qui ne m'était pas totalement inconnue mais qui pourtant, réussie à me sortir de mes pensées.

-Ce n'est que matériel, répliquai-je.

-L'art en général est matériel, continua-t-il.

-Ça dépend lequel, le monde est un art que personne jusque là n'a su encore cerné et il n'est pourtant pas matériel, l'instruis-je.

-Alors comme ça, commença-t-il. Tu considéres que l'horreur, la destruction et la tristesse est un art ?

Je me retournai vers Jake, un Jake sérieux et en proie à l'effroi de ce que j'avais pu dire il y a quelques secondes de ça.

-Qu'est-ce qui te fait dire ça ?concluais-je.

Il baissait la tête et frotta nerveusement ses mains, pris dans une profonde inspiration, il déclara une phrase qui me semblait la plus absurde sur le moment.

-Et si on continuait dehors ?

Je le fixai désormais avec des yeux ronds.

-Il fait un froid atroce dehors et puis il est tard Jake, je ne suis pas sûr que ce soit une très bonne idée. Je dois me lever tôt demain, tentais-je de le convaincre.

Il m'aggripa fortement le poignet et m'entraîna dans sa folie. Personne ne semblait avoir remarqué notre soudaine envie de quitter la maison; il attrapa mon manteau et je remplassais mes ballerines par mes bottines à lacets, mes préférées. Il ouvrit la porte, prit d'un nouveau élan et referma celle-ci sur mon passage, comme je l'avais prédis, il demeurait encore à 22h00 un froid presque glacier. Automatiquement, je refermais mon manteau sur mon pauvre corps recherchant avec désespoir un peu de chaleur. Malgré ma veste d'hiver, ceci ne réussit pas à satisfaire mon besoin de chaleur, je grelottais et claquais des dents, malgré moi; face à son erreur, Jake n'eut d'autre instinct de se rapprocher de moi et de passer son bras autour de mes épaules, n'étant pas tactile, je retirais avec maladresse son bras de mes épaules.

De plus, cette proximité me gênait.

-Ça va aller, le rassurai-je. Je vais m'y habituer, finis-je sur un rire nerveux.

-Okay, pas de soucis, dit-il embarrassé.

Nous entamâmes une ballade lente, longeant les anciennes maisons des vainqueurs pour nous diriger vers la forêt, après les lampadaires de la ville, c'était au tour des lueurs de la pleine lune de nous éclairer.

Lorsque nous fîmes quelques mètres dans cette forêt, Jake recommença à parler.

-Tu l'aimes cet endroit, n'est-ce pas ?

Je pris une grande inspiration avant d'y répondre, je n'avais jamais vraiment eu d'amis à l'école à qui me confier, et c'était la première fois que je partageais mes goûts. D'après ma mère, moins les gens en savaient sur vous, plus vous étiez en sécurité.

J'avais prise en compte, à mon jeune âge, cette phrase, comme une phrase biblique. La bible est un ancien recueil religieux que nos ancêtres utilisaient en dernier recours, comme le dernier espoir.

-Oui, soupirais-je comme soulagée. C'est mon refuge, comme mon antre, ma tête en quelque sorte.

-Euh, bredouilla-t-il en se postant à ma droite, tu me laisserais rentrer dans ta tête ?

-Cela dépend dans quel sens, conditionnai-je.

Il secoua la tête et continua le chemin en accélérant.

-Laisse tomber, c'était une question débile, lança-t-il vexé.

Je ne comprenais plus Jake depuis un temps, il posait sans cesse des questions et se rembarrait lui-même.

Dubitative, je restais à l'endroit où il m'avait planté, je le regardais descendre rapidement la pente comme un chevreau, je lui trouvais un certain charme à la lueur lunaire, il émanait un côté surnaturel, peut-être même inaccessible, ses cheveux auparavant blond avait blanchit par la lumière et son manteau long en feutre noir s'était bleui par la nuit.

Il attendait, au bord du lac gelé, la jambe gauche posé sur le muret en pierre, ses bras pendaient au dépend de ses mains qui s'étaient enfouit lâchement dans les poches de son manteau, avec le poids qu'exerçaient ses bras sur les poches, on pouvait avoir l'impression qu'il tirait dessus comme nerveux.  

J'étais bien décidée à savoir ce qui se passait dans la tête de mon ami, je dévalais la pente en quelques secondes pour me poster à côté de lui, face au lac qui générait une puissante lumière nacrée.

-Jake, qu'est-ce qui t'arrive ?essayai-je.

-Rien, me persuada-t-il. Alors tu penses toujours que la peur l'horreur et la tristesse sont de l'art.

-Tu vois le monde ainsi, toi ?demandai-je presque effrayée, je ne voulais pas entendre sa réponse de peur qu'elle m'innonde d'effroi.

-C'est ce qu'il est, il n'a été forgé que par une accumulation d'horreur et d'erreurs humaines. Prends exemple sur le passé de nos parents, Leeve. As-tu vu ce qu'il était advenu d'eux ? Ils ne sont même plus normaux. Ils se rattachent à tout ce qu'ils peuvent trouver sous la main.

J'avais regretté cette vérité tellement de fois, qu'elle m'était désormais apparue comme une évidence. Je prie chaque jour pour que ces 75 années ne reviennent pas tous nous détruire, ce génocide qui n'avait aucune limite et aucun critère. Je préfère voir le monde tel qu'il est aujourd'hui et non ce qu'il a été. Bien trop de choses, qu'elles soient bénéfiques ou qu'elles nous réduisent toutes à néant, ont été inscrit à jamais dans l'histoire de Panem, une erreur que Paylor et Jowkoski ont persisté, car,  tôt ou tard, des dégénérés reprendront ce système comme exemple, pour démontrer qu'un jour le mal reprendra toujours le dessus et que nous sommes tous en dessous de ça. Une condamnation.

Je ne vois pas le monde ainsi, déclarai-je.

Se voiler la face est bien plus facile que de prendre conscience que la vérité est toujours suspendue au-dessus de nos têtes, enchérit-il.

Je commençais vraiment à craindre Jake, je savais qu'il détenait toujours de bonnes paroles mais ses dernières ne faisait que intensifier l'intensité de mes frissons sur l'importance de ces mots, car, quelque part, il avait, malheureusement et incontestablement raison.

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Klervia


AFTER GAMES : Nouvelle GénérationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant