Le silence des blés d'or

Répit

Il hésitait à faire un pas de plus pour aller leur présenter officiellement ses condoléances. Il savait très bien que Georges avait entretenu la querelle en partageant avec eux les retombées de leurs feux croisés, mais il y avait toujours eu dans le regard d'Avéline cette espèce de compassion envers le pauvre voisin qui, au fond, ne leur voulait que du bien. Ce serait à elle qu'il s'adresserait en premier, avant qu'elle ne s'en retourne dans son monde ontarien, loin des facéties des touilleurs de terre de son pays d'origine.

Il fit donc demi-tour et remarqua la voiture de location garée sur le bas-côté de la route. Il se pencha pour essayer de voir à travers les branchages qui se tenait là sans bouger. Il crut reconnaître la silhouette de la fameuse Bérengère Lavoie, une revenante qui allait causer bien des tracas à cette petite famille qui en avait déjà plein les bras avec ce qu'il restait de la ferme familiale.

Il marcha le long de son champ, caressant du creux de la paume la barbe des blés qui doraient au soleil. Il sauta le ravin qui séparait la terre de la route et se trouva à quelques mètres du derrière de la voiture. La femme fit démarrer le moteur et il vit les feux de freinages s'illuminer. Il stoppa net et attendit un peu. Elle restait là, attendant on ne sait quoi. Il reprit sa marche et arriva à la hauteur de la portière. C'était bien la deuxième femme de Georges. Elle avait vieilli, mais avait toujours cet air d'aguicheuse qui l'avait intrigué lorsqu'elle était venue s'installer à la ferme.

– Bien le bonjour, ma petite dame. Vous avez été absente pendant un petit bout de temps, on dirait. Vous vous étiez perdue en chemin?

Elle fit une grimace puis lui sourit : « Tiens donc, si ce n'est pas le vieux ratoureux à Patterson. Content que notre Georges ait levé les pattes? »

– Je ne sais pas trop lequel de nous deux semble l'être. Ça fait si longtemps que vous n'êtes plus dans le paysage qu'on pourrait se demander ce que vous faites par ici. C'est certain que le vieux calvaire ne vous a pas laissé une sacrée cenne noire après ce que vous lui avez fait.

– Vous pourriez être surpris, Bernie. J'ai été convoqué chez le notaire cet après-midi.

– Vous m'en direz tant. Je ne pense pas que vous êtes la bienvenue par ici, en tout cas. Ni sur le terrain ni aux alentours. Moi, si j'étais vous, je m'en retournerais dans ma cachette et j'oublierai tout ça. À moins que vous soyez un brin masochiste ou carrément cinglée.

Elle ne répondit pas, soulevant son pied de la pédale de frein et fit avancer la voiture jusque sur la voie asphaltée puis prit de la vitesse pour disparaître au loin, en direction de St-Aubert.

« Et que j'aimerais donc ça être un petit moineau et me poser sur le bord de la fenêtre du notaire Magnan, moi! » se dit-il en s'en retournant chez lui.

Cédric vit la voiture démarrer et remarqua le voisin qui se dirigeait vers sa maison. Il avait deviné que la conductrice de cette voiture n'était nulle autre que sa mère. Il secoua la tête, voulant chasser cette expression de sa tête. Elle ne méritait même pas ce titre. Il avait trouvé d'autres qualificatifs tout au long de sa jeunesse, mais il avait fini par l'oublier complètement.

Il avait bien tenté, au début de la vingtaine, de la retracer, de tenter un certain rapprochement. Après tout, il était alors devenu adulte et il pensait qu'elle serait heureuse de le voir transformé en un homme qui avait plus ou moins repris sa vie en main. Ses recherches ne le menèrent pas très loin. Il apprit que la sœur de Bérengère, Antoinette, était décédée prématurément, « un bête accident de voiture » lui avait dit sa colocataire. Elle avait emporté avec elle ce qu'il restait d'espoir de retrouver sa mère.

Il était maintenant trop tard pour renouer de quelque manière que ce soit avec elle. Son retour inopiné avait ravivé une sourde douleur remontée de son for intérieur. Une âme blessée de la sorte ne pouvait tout à fait guérir même si d'autres souvenirs plus heureux avaient posé un baume sur cette partie de sa vie qu'il préférait oublier.