Chapitre 6

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J'entrouvre les yeux. Plongé dans l'obscurité, je me redresse tant bien que mal en grimaçant. Malgré la pénombre environnante, j'ai encore la sensation d'être dans le brouillard. Cette impression s'estompe peu à peu, au fur et à mesure que je retrouve mes esprits. Je me souviens à présent de tout. Ma tentative de fausser compagnie au gorille, le coup de coude dans le nez, le choc de son poing qui heurte mon ventre, l'ensemble des évènements qui viennent de se passer me reviennent en mémoire.

J'approche la main de mon visage et effleure la peau du bout de mes doigts. Le sang a séché, jusqu'à former partout sur mon visage, une pâte visqueuse. Rougeâtre, marron, sans doute, bien que je n'en sache rien à cause de l'obscurité.

L'évidence s'impose à moi. Une nouvelle fois, ma maigre tentative pour m'échapper a fait chou blanc. Faire chou blanc... Une expression qui m'a toujours amusé, quel rapport en effet entre le légume et le fait d'échouer dans une entreprise ? Mais je n'y vois nulle cocasserie à présent. La situation ne prête pas à rire. Elle prête plutôt à pleurer à vrai dire.

Une fraction de seconde, plusieurs souvenirs défilent dans ma tête : j'entrevois les visages de mes victimes, étendues contre le bitume gris de la cour du collège. En ce court instant de réflexion, j'ai la sensation de pouvoir désormais comprendre ce qu'ils ont du ressentir. Tout honteux, je m'efforce pourtant de faire abstraction de ces pensées néfastes. La situation est déjà suffisamment angoissante et pénible pour ne pas, en plus, avoir à composer avec ma propre culpabilité. Les remords auront tout le loisir de m'assaillir une fois que je serai sorti de ce trou et hors de portée de mes deux salauds de ravisseurs.

Au fond de la cave humide, captif de deux geôliers inconnus dont je ne soupçonne même pas la motivation, je ne sais plus comment m'occuper. M'occuper..., un bien joli mot, là encore, pour désigner un truc qui ferait passer le temps. Pour l'heure, l'ennui me gagne. Impuissant, je le laisse s'engouffrer en moi puis s'immiscer, peu à peu au fond de mon esprit.

Pour vaincre ce manque d'action pesant, je m'oblige à me concentrer. Avec peine, j'arrive à déceler le bruit lointain des rares voitures qui passent sur la route cahoteuse devant la maison.

Tout à coup, un son plus fort que les autres me parvient aux oreilles. Strident. Le bruit de sirènes. Des sirènes à trois tons. La police ! Ma poitrine s'emballe. L'espoir me dévore, m'enivre. Une vague de chaleur me traverse et me secoue de la tête aux pieds. Je ne peux retenir un bref sursaut de surprise. Le bonheur m'étreint. Au fond de moi j'en suis convaincu, ça y est, ils viennent me rechercher ! Ce ne peut être que ça : que viendrait faire la police dans ce désert rural ? Un sourire menace d'envahir mon visage. Je le réprime. Sait-on jamais...

— Bonjour Monsieur !

— Bonjour Monsieur l'agent, entends-je répondre mon geôlier : le gorille.

Les deux hommes se mettent alors à discuter à voix basse. Il me semble entendre l'agent interroger mon ravisseur au sujet d'un enfant qui aurait disparu, probablement enlevé. En comprenant cela, l'envie me prend de hurler que je suis ici. Je m'exécute même sans hésiter. Mes tympans vibrent, mon âme se perd en braillements inutiles. Mes cris résonnent dans la cave vide, mais étouffé par la porte de mon trou de cellule, le son n'est plus qu'un bourdonnement de fond inaudible trop discret pour éveiller la curiosité de l'agent des forces de l'ordre. Le dialogue dure entre le policier et le gorille et mes cris restent vains. Il devient bientôt manifeste que l'homme à l'uniforme s'apprête à repartir. Bredouille. En désespoir de cause, je me remets à brailler, encore et toujours plus fort. Je m'époumone et ma voix se casse bientôt, comme engloutie au fond de ma gorge, tandis que la porte de la maison claque bruyamment dans le dos de l'agent de police. Plus abattu que jamais, je m'allonge une fois de plus sur la couverture de laine, la gorge en feu et le moral au fond du trou.

Séquestré !Where stories live. Discover now