Chapitre 2

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Me voilà contre un mur. Je suis au fond de ce qui doit être une vieille cave. Une vieille cave vide, sombre et poussiéreuse. À chaque pas je sens sur le visage la caresse désagréable des toiles d'araignées. L'odeur nauséabonde me monte aux nez. Quel abominable parfum ! Sûrement que la porte de ce trou n'a pas été ouverte depuis des années !

Le mur devant moi est moite : cette cave est humide. Humide et froide. Je m'assieds bientôt, le dos contre le mur, face à la petite porte close d'où l'homme m'a poussé. Je pose les mains par terre et m'empresse de les en retirer. Une épaisse couche de poussière couvre le sol de béton. De toute évidence, cela fait une éternité que le ménage n'a pas été fait ici.

Mes doigts viennent courir le long du mur. La surface n'est pas lisse. La paroi est marquée d'une alternance de trous et de bosses. Il me semble sentir des sillons. Sans doute le mur est-il fait de briques comme la façade de la maison...

Après ce court instant où je découvre ma prison, la situation s'impose de nouveau à moi. Ces deux personnes ont orchestré mon enlèvement et ont désormais mis leur plan à exécution. M'efforçant de rester calme, j'essaie d'évaluer la posture dans laquelle je me trouve. Sans doute mes deux ravisseurs vont-ils exiger de mes parents une rançon contre ma libération. À moins que je ne sois la victime de deux dangereux pédophiles... À cette seule hypothèse, je sens ma poitrine se serrer plus fort encore. Peut-être vont-ils simplement me tuer, ou me vendre comme esclave en Afrique. Prenant alors conscience que non seulement ma liberté, mais aussi ma vie sont en danger, la panique menace de me submerger. Je réussis néanmoins à garder mon sang-froid, en me répétant que, de toute manière, paniquer ne serait d'aucune utilité puisque je ne peux rien faire pour me sortir de ce mauvais pas.

Quelques minutes s'écoulent encore, où je reste sans bouger, recroquevillé, la tête sur les genoux. Les yeux fermés, je tente d'oublier tant bien que mal la triste réalité. Soudain, un cliquetis attire mon attention. Le bruit vient de la porte. Elle s'ouvre. Dans l'encoignure de la minuscule entrée de la cave, une silhouette se découpe. Fluette et plutôt petite, ce doit être la vieille femme de la voiture. La tentation me prend de courir vers elle pour me jeter dessus et la rouer de coups. Mais je suis bien obligé de me faire une raison : à peine me serais-je mis à courir que déjà, la vieille aurait fermé la porte et serait repartie.

Je me contente donc de lever les yeux vers elle et de la fixer d'un air aussi méchant que possible. Sans doute ne s'en aperçoit-elle même pas. Elle porte dans ses bras une couverture de laine, qu'elle roule en boule avant de me la lancer. Agile, je la réceptionne de la main gauche.

La vieille fait demi-tour avant de se raviser pour m'adresser quelques mots.

— Tu trouveras un trou au fond à droite, avec une grille dessus. La grille est trouée au milieu. Tu pourras t'en servir de toilettes, dit-elle avant de quitter la cave, pour de bon cette fois.

Pendant une fraction de seconde, je ressens une once de gratitude. Au moins pourrais-je soulager ma vessie... Mais cette gratitude laisse ensuite place à un sentiment de dégoût envers moi-même. Comment ai-je pu être reconnaissant envers une personne qui a ni plus ni moins fomenté mon enlèvement ?

La couverture est encore dans mes mains. Je m'empresse de m'emmitoufler à l'intérieur. Le long pan de laine est lourd et rêche mais il a au moins l'avantage d'être chaud. À croire qu'il fait à peine cinq degrés dans cette cave pour que, mon blouson sur le dos, j'aie froid malgré tout.

Je sais que, maintenant, je risque de rester plusieurs longues heures durant au fond de cette cave sans rien d'autre pour m'occuper que mes pensées. Pendant de longues minutes, je revis seconde par seconde les évènements depuis ma sortie du cours de maths. Comme j'aimerais en ce moment être dans cette salle de classe à écouter parler le prof !

Je me vois à nouveau exiger le goûter du petit Kylian. Ce moment que je trouvais drôle ne me fait plus rire à présent. J'imagine maintenant parfaitement ce que peut ressentir Kylian : il donnerait cher pour m'obliger à le laisser en paix mais s'en sait incapable. Il faut dire que pour l'instant je me trouve dans une situation quelque peu similaire. Il ne peut m'affronter pour que je cesse de l'importuner, puisque j'aurais tôt fait de l'écraser, de même je ne demanderais qu'à pouvoir m'enfuir mais en suis bien incapable. D'autant plus que je ne fais pas le poids contre mon geôlier.

Quelque part, la honte m'assaille. Je me dégoute moi même. Je réalise combien mon comportement a dû causer de tourment à ma petite victime innocente. Mais pas seulement à Kylian d'ailleurs, l'espace de ces quelques instants de regret, je m'en veux d'en être, tant de fois, venu aux poings. C'était, dans un sens, céder à la facilité. Mon gabarit me donnait chaque fois l'avantage et le judo m'avait appris à m'en servir comme d'un atout. Les visages de ceux qui avaient fait les frais de mon autorité apparaissent dans ma tête. Je contemple à nouveau le visage inondé de larmes de Thibaud. Thibaud... Un an de moins que moi, il faisait à peu de choses près une tête de moins que moi mais était plus costaud ; il avait eu un jour la mauvaise idée de me mettre un coup de poing dans le dos. Sa témérité lui avait coûté cher : un mois de plâtre pour son bras cassé. Le revoyant ainsi, accablé de douleur, ni satisfaction, ni fierté, je n'éprouve que remords.

La culpabilité me pèse tant que, sans attendre, je prête un serment des plus contraignants. Surtout pour quelqu'un comme moi ! Je jure de me maîtriser en toutes circonstances et de ne plus terroriser gratuitement le pauvre Kylian. Le visage de mon meilleur ami, Valentin, me vient à l'esprit.

C'est toi qui avais raison Valentin.

Après tout, ce petit Kylian, qu'a-t-il fait qui puisse justifier un tel acharnement de ma part ?

Rien !

Cependant, comme je promets cela, je me souviens justement du goûter de Kylian. Je n'y ai pas touché. Il doit donc encore être dans la poche de mon blouson.

Ma main s'agite alors sous la couverture, pour en ressortir le petit paquet de biscuits.

Ah ! Le voici ! Songé-je.

La moindre des choses est que le fruit du racket de Kylian me soit d'une réelle utilité. Il me faut avouer que je meurs de faim. Il doit bien y avoir une bonne heure que je suis coincé au fond de ce trou puant et je n'ai rien mangé depuis midi. Ce n'est certes pas la famine, néanmoins mon estomac la crie. Mes mains tremblent légèrement tandis que j'ouvre le paquet. L'emballage cède vite dans un léger bruissement de plastique.

Le biscuit fond doucement dans ma bouche. Un vrai bonheur ! Un délice. Soja et oranges confites si je ne m'abuse. Il a bon goût décidément le petit !

La prochaine fois, c'est toi qui les dégusteras tes biscuits, Kylian.

Séquestré !Where stories live. Discover now