Chapitre 8 - Sans Issue

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Je m'apprêtais à attaquer Monsieur Baléro, mon pharmacien à présent transformé en mort-vivant. Sa blouse blanche était maculée de sang. La tête basse, il respirait au même rythme que les infectés dans la rue. Notre arrivée ne l'avait pas réveillé. Il me tournait le dos, endormi... ou en veille, j'ignorais encore comment décrire cet état pour le moins étrange. Je serrais mon arme de fortune avec une maigre conviction, mais Adrien posa une main sur mon épaule.

— Je vais m'en occuper, murmura-t-il.

Je ne protestai pas. Son grand couteau serait bien plus efficace que mon ridicule bout de balais. Et puis, avec ses bras presque aussi larges que mes cuisses, il n'aurait aucun mal à neutraliser la créature.

D'un pas fluide, il se glissa derrière. Sans une hésitation, Adrien lui planta sa lame dans l'oreille. L'acier s'enfonça jusqu'au pommeau. Un râle étranglé s'échappa des lèvres mortes, puis le corps s'effondra sans un bruit. Pas d'hésitation, pas d'erreur.

Un frisson me parcourut. Qui était donc cet homme ? Il crochetait les serrures en quelques secondes, tuait avec la précision d'un assassin. Quelles autres compétences cachait-il ?

Sans un mot, il attrapa le cadavre par les bras, le tira dans la ruelle sombre, puis referma la porte derrière nous.

Nous étions dans la réserve de la pharmacie. Un endroit exigu, rempli d'étagères métalliques pleines de cartons de médicaments, de pansements et autres fournitures médicales. Léo nous éclairait avec le faisceau de son portable auquel il s'accrochait comme à une bouée de sauvetage.

Un claquement sec me fit sursauter. Georges, d'un geste anodin, venait d'appuyer sur l'interrupteur.

Un instant, nous restâmes figés sous la lumière crue des néons. Dans mon imaginaire, une apocalypse zombie rimait avec la fin du monde, plus d'électricité, plus de technologie. Pourtant, les lampes s'allumaient encore. 

L'urgence reprit ses droits.

Nous nous dispersâmes entre les étagères, fouillâmes parmi les boîtes pour récupérer le maximum de matériel utile. Il y avait tout ce dont nous avions besoin : antiseptiques, antibiotiques, bandages, seringues... À vrai dire, trop pour être transporté par quatre personnes.

Adrien, une fois de plus, se montra d'une efficacité redoutable. Il sélectionna les produits avec beaucoup d'assurance, trop peut-être.

— Prenez ça, et ça... fit-il en désignant des boîtes précises.

Personne ne discuta. Nous obéissions et remplissions nos sacs. De toute évidence, il savait ce qui serait utile.

Mais alors que je refermais un tiroir, je l'aperçus s'éloigner discrètement du reste du groupe. Il se faufila derrière un comptoir de dispensation avec une vitre en plexiglas, et s'accroupit devant un petit placard métallique encastré dans le mur. Une grille en fer en bloquait l'accès, sécurisée par un loquet rouillé qu'il fit sauter avec la lame de son couteau.

Ses gestes étaient différents. Moins rapides, plus fébriles.

Il sortit une boîte, vérifia l'étiquette, puis une autre, et les glissa dans la poche intérieure de sa veste.

Il se retourna et s'aperçut que je l'observais.

Surpris, comme pris sur le fait, il recula et heurta une bouteille qu'il venait de poser quelques secondes plus tôt. Elle tomba de l'étagère et s'écrasa au sol.

Le verre explosa dans un éclat sonore.

Nous nous figeâmes.

Un silence s'installa, un instant suspendu dans l'angoisse.

Puis, à l'intérieur de la pharmacie, un râle s'éleva.

Une caresse froide serpenta le long de mon dos.

D'autres suivirent, comme un écho funèbre. Des coups sourds résonnèrent aussitôt contre la porte de l'officine.

— Merde, merde... souffla Léo, la voix déformée par la panique.

Nous étions tétanisés. Seul Adrien continuait à remplir son sac, imperturbable.

— Dépêchez-vous ! gronda-t-il pour réveiller nos esprits engourdis par la peur.

Je me forçai à bouger, mes mains tremblaient. J'enfournais à la hâte des boîtes de médicaments dans mon sac, tandis que mes genoux menaçaient de se dérober sous moi.

Le martèlement sur la porte devint plus violent.

— On se casse ! lança Adrien.

Il se précipita vers la sortie de secours et ouvrit la porte d'un geste vif. L'air froid de la nuit s'engouffra dans la réserve.

Puis il se figea.

L'instant d'après, il me repoussait à l'intérieur et referma la porte métallique dans un claquement sinistre.

— Qu'est-ce que... ? soufflai-je, perdu.

— Trop tard, ils arrivent par-là aussi, lâcha-t-il, son regard sombre.

Comme pour confirmer ses mots, des grognements s'élevèrent de l'autre côté de la porte. Des corps lourds se jetèrent contre le métal, faisant vibrer la structure.

Nous étions coincés.

— Bordel... murmura Georges.

Nous reculâmes contre les étagères, le regard rivé sur la porte qui se déformait sous l'assaut des infectés.

Léo commençait à paniquer, son souffle se saccadait.

— On va crever... on va crever ici...

— Ferme-là, siffla Adrien.

Il réfléchissait. Cherchait une solution.

Les infectés cognaient toujours, de plus en plus nombreux.

La pharmacie elle-même n'était pas sûre. La porte de l'officine tremblait sous l'assaut des créatures. Bientôt, elle céderait.

Nous devions agir.

— Par ici ! fit Georges, pointant une échelle en métal fixée au mur.

Elle menait à une trappe au plafond.

Adrien ne perdit pas une seconde. Il sauta sur l'échelle et testa sa solidité, puis nous fit signe de grimper.

— Léo, vas-y en premier.

Le jeune hésita, mais une nouvelle secousse contre la porte le fit obéir. Il s'agrippa aux barreaux et monta avec une rapidité née de la panique.

— À toi, Charles !

Je grimpai à mon tour, mes doigts moites glissaient sur le métal froid. Derrière moi, Georges nous suivait.

Adrien était le dernier. Il attendit que nous soyons en haut avant de monter à son tour.

Sous nous, la porte de l'officine céda.

Des dizaines d'infectés s'engouffrèrent dans la réserve, leurs râles monstrueux emplissaient l'espace.

Je m'extirpai sur le toit plat du bâtiment, aidé par Léo qui me tendait la main.

Georges nous rejoignit, puis Adrien bondit hors de la trappe au moment où les premiers infectés atteignaient l'échelle.

L'un d'eux s'agrippa à l'échelle et tenta de monter, mais après à peine deux barreaux, ses gestes maladroits le firent basculer en arrière, et il s'écrasa sur les autres.

A bout de souffle, accroupis sur le toit du supermarché, nous observions en contrebas les infectés qui grouillaient.

Autour de nous, la ville morte nous encerclait, des rues où les râles affamés des monstres résonnaient.

Nous étions en vie... 

Mais le froid, plus cruel à chaque souffle, nous rappelait qu'ici, sur ce toit glacé, temps allait être long.

Les Yeux de L'OracleWhere stories live. Discover now