Chapitre 5 - Ils se relèvent

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Le silence s'était abattu sur l'église comme un couvercle. Un silence lourd, chargé d'angoisse, où chaque respiration semblait de trop.

Lucas, blotti contre moi, dormait à nouveau. Mais je ne trouvais aucun répit dans ce calme apparent. Son front était toujours brûlant, et dans mon crâne, les pensées tournaient en boucle. L'espoir, si fragile, s'effilochait déjà. Je m'accrochais à lui comme à un rêve qu'on refuse de quitter, même en sachant qu'il va virer au cauchemar.

Quand la nuit tomba, l'atmosphère s'alourdit un peu plus. L'obscurité engloutit les derniers reflets colorés des vitraux. Les ombres s'allongèrent, se glissèrent dans chaque recoin, déformant les contours familiers de l'église en formes étranges et inquiétantes. Le silence était désormais brisé par les toux rauques de ceux qui, derrière les couvertures suspendues, luttaient contre la maladie — ou pire.

Aurore et Léo vinrent s'asseoir près de Claire, Lucas et moi. Leur présence réchauffait un peu l'air glacial, mais rien ne dissipait cette sensation d'étau invisible qui nous serrait le cœur.

Avec l'autorisation du père Gabriel, nous avions déplacé quelques bancs pour aménager un espace un peu plus confortable. Plus intime, en apparence. Mais le froid nous mordait toujours la peau, et la faim, elle, creusait sans relâche nos entrailles.

Une partie des provisions avait été distribuée. Insuffisante. Le partage n'avait pas été sans tension. Certains — surtout ceux qui avaient perdu des proches ou avaient des enfants — réclamaient davantage. Les voix s'étaient élevées. C'est Vincent qui avait tranché, d'un ton sec, autoritaire, presque militaire. Personne n'avait osé s'opposer.

Vincent ne croyait pas au message entendu à la radio, encore moins à l'arrivée de secours. Il prétendait que c'était une manœuvre politique, une promesse creuse, un moyen de calmer les survivants avant de les abandonner.

— Il faut être réalistes, avait-il déclaré plus tôt dans la soirée. Personne ne viendra. Et si quelqu'un vient... ce sera peut-être pire que ce qu'on imagine.

On l'avait écouté sans répondre, mais on l'avait écouté. Trop de regards étaient pleins de doute désormais. Trop de visages perdaient l'éclat de l'espoir.

Un peu plus tard, je le vis s'éloigner, seul, vers l'accès à la tour de l'église. Il revint avec une barre de métal qu'il avait arrachée à la rambarde de l'escalier. Elle faisait presque un mètre, lourde et menaçante. Il la tenait comme une batte.

— On doit être prêt à se défendre. Si ce ne sont pas les infectés, ce sera les pillards. Ou pire encore.

Il ne criait pas. Il ne haranguait pas la foule. Mais sa voix portait. Ses mots s'enfonçaient dans les esprits comme des éclats de verre. Et il s'érigeait, lentement mais sûrement, en chef. Pas parce qu'on l'avait élu, mais parce qu'il avait cette détermination brutale, presque froide, que certains prennent à tort pour du courage.

Il ne croyait plus aux secours. Il ne croyait plus qu'en la force.

Et moi... j'étais là, assis par terre, mon fils contre moi, brûlant de fièvre, incapable de le protéger, incapable de croire encore.

Le monde autour de nous s'effondrait. Et dans l'ombre, Vincent levait déjà les premières pierres d'un autre.

Lucas toussait de plus en plus. Chaque quinte me faisait sursauter. Je tentais de minimiser, de détourner les regards inquiets, mais je sentais la fièvre brûler sous mes doigts chaque fois que je posais la main sur son front. Il avait besoin de médicaments, et nous n'avions rien.

Alors que Vincent arpentait l'église comme un gardien fait sa ronde, il s'arrêta à quelques pas de nous. Son attention se posa sur Lucas, et je sentis mon cœur se serrer.

Les Yeux de L'OracleWhere stories live. Discover now