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Kelly habitait à trois rues de moi, dans un immeuble d'habitation qui semblait perdu au milieu de maisons individuelles. Sur Google Street View, j'essaie de la retrouver, mais les maisons ont toutes une façade flambant neuve, d'un gris taupe déprimant, le genre qui va avec une isolation par l'extérieur à coups de grands blocs de polystyrène. J'ai bien l'impression que c'était celle-là, le numéro 36, sauf qu'aujourd'hui elle a une porte en PVC blanche et des volets roulants gris, alors qu'à l'époque ils étaient en bois bleu foncé, et la porte d'entrée grinçait.

C'était la première fois qu'on m'invitait comme ça et je me rappelle encore l'effet que ça m'avait fait.

Je l'avais invitée en retour un peu plus tard, un jour où mes sœurs n'étaient pas à la maison. Si je n'ai pas de souvenirs précis de ce qu'on a fait, je me souviens bien de son excitation à découvrir ma chambre, son empressement à regarder toutes mes étagères, sa curiosité face à tout - eh bien, tout ce qui était moi.

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Les toilettes étaient, juste après le gymnase et la cantine, les endroits que j'aimais le moins de tout le collège, et pas seulement à cause de l'odeur.

Je n'entrouvrais plus la porte pour vérifier que la voie était libre depuis que Kelly m'avait demandé, le deuxième ou troisième jour de notre amitié, pourquoi j'avais fait ça. J'avais répondu que je voulais juste voir s'il y avait quelqu'un, pour ne pas déranger, parce que je n'avais pas osé lui avouer que j'avais peur de tomber sur les filles de ma classe, ou pire, sur ma sœur et ses copines. Tayyip avait même remarqué qu'il m'arrivait de me retenir de boire pour ne pas devoir aller trop souvent aux toilettes, mais il ne savait pas pourquoi je faisais ça. Je ne pense pas qu'il aurait pu le comprendre. En classe, dans la cour ou dans la rue, je parvenait - un peu - à me défendre face aux moqueries, répliquer d'une insulte ou d'un bon coup de pied bien senti, mais pas dans les toilettes. Je me sentais comme si ce n'était pas ma place, pas mon territoire. C'était celui des filles, des vraies, alors que je n'étais qu'un garçon manqué, comme tout le monde s'évertuait à me le dire depuis toujours.

Je me disais que Kelly non plus n'aurait pas pu le comprendre. C'était une fille, une vraie.

Juste avant de tirer la chasse d'eau, j'entendis la porte s'ouvrir, et comble de malchance, les voix de Selma et Romane. Tout d'abord elles parlèrent entre elles, puis la porte à côté de moi s'ouvrit (je n'avais pas osé bouger un muscle).

- Wesh Kelly, lança Selma.

Mon amie ne répondit rien - ou alors je n'ai pas entendu.

- Ça fait chier que tu fasse la gueule, dit soudain Romane.

- Ouais, on avait rien contre toi.

Je crus que Kelly allait les envoyer péter, mais elle me surprit par son ton très calme.

- J'aime pas faire chier les autres. Ce que vous faisiez à Gwen tous les jours, c'était grave abusé.

- Mais qu'est-ce que tu lui trouves, à Gwen ? demanda Romane. C'est que du vent cette meuf !

- Et vous, vous avez quoi contre elle ?

Je me demandai pourquoi elle leur posait une telle question. Comme s'il leur fallait une raison ! Ou était-ce pour essayer de leur faire comprendre qu'elles n'avaient aucune raison valable ? Essayer de les faire culpabiliser ?

- Non mais c'est facile pour toi, dit Selma. Tu la connais pas, tu viens d'arriver. Tu l'as pas vue en sixième quand c'était un vrai pot de colle.

- Ouais, elle te lâchait pas, toujours à vouloir venir dans les groupes comme si on était ses potes.

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⏰ Last updated: Apr 27 ⏰

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Garçon, Fille ou GwenWhere stories live. Discover now