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(la fin du chapitre a été modifiée)

La boîte

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Il n'y avait pas que dans ma tête qu'il y avait une boîte remplie de souvenirs enfouis. Il y en avait également une réelle, que j'avais tout autant oubliée. Non, pas oubliée : je savais qu'elle était là, qu'elle existait quelque part et que je ne l'avais jamais jetée, mais j'avais choisi consciencieusement de l'ignorer, de la cacher là où je ne pouvais pas la voir, de l'oublier, elle et son contenu.

Je venais de la chercher dans tous les endroits où elle aurait été susceptible de se cacher, tous les cartons jamais défaits qui m'avaient suivi de déménagement en déménagement. Et puis j'ai fini par remettre la main dessus, sous un album photo offert par ma marraine et qui ne contenait que des photos de paysages mal cadrées de lieux dont je n'avais aucun souvenir. La boite était scotchée sans aucun soin, ça ne me ressemblait pas. Je cherchai immédiatement une photo de toi.

Je savais que je n'en trouverais pas, je l'avais longtemps regretté, mais je cherchai quand même, comme si dans un univers parallèle une telle photo avait existé. J'alignai sur mon lit le contenu de la caisse, comme ces détectives de série télé à la recherche d'indice qui relient des post-its avec des ficelles. Un carnet de liaison. Une grande enveloppe estampillée "photos de classe collège". Une autre grande enveloppe, en papier kraft, remplie de dessins. Un agenda Titeuf jaune. Quelques cartes postales, toutes de l'écriture enfantine de Tayyip. Des rédactions de français. Quelques travaux d'arts plastiques - je reconnus ma machine à voyager dans le temps.

Je souris. Toute cette boîte était une machine à voyager dans le temps.

Je pris les premiers dessins de l'enveloppe. L'un représentait une archère perchée sur un pont de corde reliant deux cabanes dans les arbres. Les perspectives étaient nickel, même si l'archère était mal proportionnée. Ma phase perspectives, me rappelai-je avec une pensée attendrie pour mon moi de treize ans.


11

Tic tic tic. tic tic tic.

Rien ne sortait. Tic tic tic. Tic tic tic. Je secouai le crayon qui n'émit aucun bruit en grognant de frustration. Je reposai le critérium inutile et farfouillai sur mon bureau à la recherche d'un crayon de papier en état de marche, faisant tomber par terre mon devoir d'espagnol abandonné. Je trouvai un 2B qui ferait bien l'affaire.

- Gwenaëlle, Justine, Zoé, à table !

Le cri me fit sursauter, et le sursaut fit riper mon crayon. Je tapai du poing sur mon bureau, en colère contre papa et contre moi-même. Ça faisait deux heures que j'étais sur ce dessin !

L'ombre sur le visage de mon archère était enfin parfaite, ou en tout cas aussi parfaite que l'image que j'avais dans ma tête. La pointe de la flèche tendant la corde de l'arc renvoyait un rayon de lumière, et de la capuche, une fine tresse brune s'échappait. Enfin, une fine tresse avec un affreux gros trait noir.

En vérité, il n'y avait pas grand chose qui laissait deviner qu'il s'agissait bien d'une archère, et c'était ça qui était cool. Je l'imaginais au milieu d'une bataille, soulever sa capuche et s'exclamer, telle Eowyn dans Le Retour du Roi, « je ne suis pas un homme ! » et ainsi accomplir la prophétie disant qu'aucun homme ne pourrait tuer le Roi-Sorcier. J'adorais regarder des films ou des séries et imaginer que les soldats ou les guerriers au visage entièrement caché par un casque étaient des femmes - mieux encore, des filles, des ados qui étaient parties à la guerre pour échapper à une vie sur laquelle elles n'avaient aucun contrôle.

Garçon, Fille ou GwenWhere stories live. Discover now