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Kelly.

La vue du nom ouvre un coffre dans ma mémoire. Pas un coffre aux trésors de bois vermoulu, à l'aspect romanesque et rempli de pierres précieuses, ni un coffre à jouets à la peinture écaillée et au contenu évoquant une douce nostalgie. Imaginez plutôt un gros coffre-fort blindé, le genre qui renfermerait la dernière dose d'un microbe capable de ravager l'humanité.

Je n'ai pas beaucoup de souvenirs vivaces de mes années au collège. Les années se mélangent et se confondent dans ma mémoire, en une masse floue et indéfinissable, comme un dessert fade et écoeurant de la cantine dont on peinerait à déterminer le goût. Les noms des profs ? Oubliés. Les visages ? Oubliés. Ce que j'ai appris en trois ans d'allemand et quatre ans de techno ? Rien, il ne reste plus rien. Même la plupart des prénoms se sont évaporés.

Mais mon corps n'a pas oublié les souvenirs immatériels. Les émotions. Les sensations. Les sentiments.

Lorsque je me remémore le collège, je me rappelle surtout de la solitude. De l'ambiance agitée en classe et dans les couloirs, de la violence de l'effet de groupe, de tous les élèves qui agissaient en meute en ciblant les lents et les boiteux pour en faire leurs victimes.

Je faisais partie des lents et des boiteux.

Mon corps n'a pas oublié la sensation de la boule dans le ventre, chaque matin, avant d'aller au collège. Les picotements dans les doigts au moment de pousser la porte d'une classe après un retard. Les larmes qui s'efforçaient de refluer dans les yeux au moment de rentrer à la maison, pour que personne ne se rende compte de rien, pour que personne ne pose de questions.

Repenser à ces années me fait le même effet qu'une épidémie. Ça démarre en un clin d'oeil, et il faut un temps fou pour l'éliminer jusqu'à la dernière trace, et pendant ce temps, j'ai mal. Alors j'oublie. Je laisse ces moment s'enfoncer, lentement, vers le cœur le plus profond de ma mémoire, dans ce coffre-fort rempli de tous les virus qui m'ont empoisonné. Je les recouvre de mes années d'études, dynamiques et intenses, des moments d'amitié profonde, puis du début de ma vie d'adulte. Je les enrobe d'images d'amitiés sincères, de groupes de potes joyeux, de profs encourageants ; de sensations de premiers baisers.

Le collège ? Bof, rien de plus que quatre années où je ne savais pas comment m'habiller, où j'ai eu mon premier appareil dentaire, où la puberté m'a attaquée de ses griffes acérées.

Il n'y a qu'une seule chose que je n'ai jamais oubliée. Kelly, je me rappelle de Kelly.

Garçon, Fille ou GwenWhere stories live. Discover now