Mauvais Ordre

V

Assise sur l'ilot centrale de la cuisine, la tête entre les mains, j'écoutais mes parents parler de protection, de créatures fantastiques et de groupe de malfrat. Je ne comprenais rien et je ne cherchais pas non plus à les écouter.

"Ils m'ont mentis"

Voilà la phrase qui tournait en boucle dans ma tête.

"SURTOUT ! Pardonner ceux qui seront impliqués"

Mais comment ? Comment pouvait-on pardonner à des personnes qui nous avaient mentis pendant des années ? Qui nous on fait perdre une personne qu'une adolescente n'aurais jamais dû perdre, qui avait besoin de sa mère ? Tout paraissait plus clair maintenant, en commençant par la mort mystérieuse qu'avait provoqué ma mère. Tu m'étonnes qu'aucun médecin n'avait su de quoi elle était morte ! Et puis les paroles de ma tante avaient maintenant un sens.

"Les prochains jours seront signe de changement"

J'essayais de faire le vide. Je leur en voulais tellement. J'avais souffert pendant des années, pleurer pendant des semaines ! Et tout ça à cause d'eux ! J'aurais pu vivre dans une pièce de théâtre ça aurait été la même !

- Maddy ? Tu nous écoutes au moins ? Demanda ma mère, me faisant sortir de mes songes.

-  Non. Dis-je avec une pointe d'agressivité.

- Ne parle pas à ta mère sur ce ton, jeune fille ! Protesta mon père en prenant la même intonation.

Mon soupir se transforma en un rire amer. Mes mains tremblaient, ainsi que ma voix quand je repris la parole :

- Pardon, mais j'aurais bien aimée savoir comment tu aurais réagi, toi, si on t'avait enlevé ta mère en te faisant croire qu'elle était morte, puis qu'elle revienne après TROIS ANNEES comme si de rien était. J'aurais aimé la prendre dans mes bras, lui dire à quel point elle m'avait manqué et combien j'avais eu mal quand j'ai su que c'était, soi-disant, finit pour elle ! J'aurais tellement aimée... Mais nan, je n'ai pas pu, parce que ça me dégoute de savoir que m'avez mentis, vous, Mathilde et je ne sais qui d'autre encore !

Des larmes coulaient à présents sur mes joues ainsi que sur celles de ma mère qui posa sa main sur mon bras. Instinctivement, je reculai. Ma mère porta sa main à sa bouche pour étouffer un sanglot.

- Je n'avais pas le choix ! Lâcha-t-elle.

- On a toujours le choix, maman. Répondis-je en sortant de la cuisine.

- Je suis tellement désolée ! Cria ma mère derrière le mur.

Je m'arrêtai un instant pour fermer les yeux, puis je montai dans ma chambre sans rien ajouter. Une fois enfermée, je me laissai glisser contre la porte, les genoux recroquevillés contre moi et la tête entre les mains. Pour la première fois de ma vie, je me disputais avec mes parents. Un goût amer monta dans ma bouche et je me précipitai pour aller vomir dans les toilettes de la salle de bain adjointe à ma chambre. Je me rinçai la bouche pour essayer d'effacer ce goût âcre, en vain, puis je m'observai dans le miroir, les mains posées de chaque côté du lavabo. De légères cernes étaient apparues sous mes yeux rougie par les larmes. J'avais ce pressentiment qu'elles n'avaient pas fini de s'élargirent.

Je m'en voulais de leur avoir crier dessus et d'avoir fait pleurer ma mère, mais la douleur était trop forte. La première fois que c'était arriver, papa était venu me voir dans la salle d'attente en secouant la tête. Il n'avait pas eu besoin de parler, j'avais compris. C'était fini pour maman. Elle avait laissé un trou béant à la place de mon cœur. Un trou que j'avais mis du temps avant de refermer et qu'ils venaient sauvagement de le rouvrir.

Je continuai d'observer mon reflet. Mes cheveux châtains étaient complètement décoiffés. J'avais terriblement froid et ma peau était tellement pale qu'on avait l'impression que j'avais vu un mort. J'esquissais un sourire triste à cette pensée.

"C'est presque ça, en vrai"

Je partais m'allonger dans mon lit. La couette ne parvenait pas à me réchauffer et les larmes continuaient de couler. J'ai pleuré longtemps, à tel point que je ne me souvenais même pas à quel moment je m'étais endormie. Je me réveillais. Mon ventre criait qu'il avait faim. Je suis donc descendue pour prendre un petit-déjeuner.

"En espérant ne croiser personne" Pensais-je en bayant.

Mais l'univers en à décider autrement : ma mère était dans la cuisine, en train de trainer sur son téléphone. Je me figeais avant de me rappeler en détails de la veille.

- Bonjour ma chérie. Me salua-t-elle.

Sans un regard vers elle, je me préparai un bol de céréale.

- Tu vas m'ignorer comme ça encore longtemps ? Demanda-t-elle, tristement.

Je fis mine de ne pas l'entendre et quittai la pièce pour rejoindre de nouveau ma chambre. J'entendis ma mère chuchoter quelque chose, mais j'étais trop loin pour que ça soit audible. La porte fermée, je m'asseyais dans mon lit. Un nœud se forma dans mon ventre à la vue de tous les messages que ma cousine m'avait envoyés. Je posai mon bol sur la table de chevet et répondis.

***

Mathilde :

Mathilde :

Je t'en prie...

Répons moi...

Je suis vraiment désolée...

Moi :

J'ai besoin de temps pour assimiler. S'il te plaît, laisse-moi tranquille.

***

J'éteignis les notifications et mis ma playlist Bad Mood sur mon enceinte Bluetooth. J'augmentai le volume au maximum et me terrai de nouveau sous ma couette, laissant mon bol de céréale sur la table de chevet. La boule qui s'était formée dans mon ventre m'empêchais d'avaler quoi que ce soit.

L'obscurité et la musique étaient mes seules amies dans ces moments-là. Je ne sais pas combien de temps je suis restée dans cet état. J'entendais parfois les voix de mes parents me suppliant d'ouvrir. Je crus même entendre Mathilde. Mais je ne cédais pas et restais dans mon état second, dormant par intermittence.

"Ça ne va pas arranger les choses d'être comme ça, et tu le sais." Finit par dire la petite voix dans ma tête.

Je soupirai. Il est clair que rien ne s'arrangerait si je continuais à agir ainsi. Je pris donc mon courage à deux mains pour sortir de mon lit et me diriger vers le salon ou j'entendais mes parents regarder un film.

J'avais besoin de réponses à mes questions.