Chapitre 21

Depuis le début
                                    

Devant son bureau, monsieur Dingué et Marine Bengo sont sur le point de se livrer à un combat de catch. Il tire fermement sur sa jupe pendant qu'elle, s'est saisie de son col et ne semble pas vouloir le lâcher tant qu'il aura lui-même sa main sur elle. Tout le monde est sidéré. Certains hurlent, d'autres tapent dans leurs mains en signe d'excitation, d'autres encore, commentent :

— Tout ça parce qu'elle ne veut pas changer de tenue !

— Oui mais ce n'est pas la peine que le surveillant soit aussi brutal, rétorque une fille.

— Akah, intervient une autre, quelle fille n'a pas subi ça dans ce lycée ? Mais comme il s'agit de Marine, elle devait forcément se faire remarquer.

— Vraiment, approuve le garçon qui a fait la première remarque.

— L'avantage d'avoir des parents riches. Un petit coup de fil de son père et hop, ce sera comme s'il ne s'est jamais produit cette scène. Nous autres sommes obligées de subir mais d'obéir quand même.

Marine et monsieur Dingué se crient dessus, se menacent, s'insultent :

— Vous me lâchez tout de suite ! gronde le surveillant.

— Si vous faites pareil avec ma jupe, répond la jeune élève sans ciller.

— Je vous assure, mademoiselle Bengo, que je suis en train de perdre patience. Ne me faites pas poser un acte que je risque de regretter...

— Mais allez-y ! Vous attendez quoi ? Espèce de sale pervers ! Que vos supérieurs viennent nous trouver là.

Le visage de l'homme gonfle, plein de rage, à deux doigts d'exploser. Il est quand même conscient qu'il n'a pas le droit de la frapper, surtout pas devant tant de témoins.
La foule s'enflamme. Des gaillards se moquent du surveillant, le traitant de faiblard car incapable de donner à Marine une bonne leçon comme elle le mérite. Les voix des filles quant à elles, sont divisées : certaines l'encouragent et l'érigent en héroïne, d'autres l'accablent et souhaitent « qu'on la remette à sa place ».

Dans tout ça, moi, je pense à Laeticia. Je la cherche dans la cohorte agitée, je scrute sa face et guette son ressenti. À quoi pouvait bien faire allusion la fille derrière moi en disant qu'elles ont toutes « subi ça dans ce lycée » ? Les hypothèses qui commencent à germer dans mon esprit me glacent le dos. Je songe au comportement étrange de Laeticia suite à son passage dans le bureau de monsieur Dingué ; Marine en train de pleurer dans les toilettes, et maintenant ça...

Le censeur arrive de nulle part et met fin au spectacle. Il calme son collègue, interpelle Marine Bengo dans son bureau et chasse tout le monde. Peu d'élèves s'en vont. Le censeur commence à appeler certaines personnes qu'il reconnaît dans l'attroupement, et ce n'est qu'à cet instant que chacun détale, de peur de se faire repérer et d'écoper. C'est la débandade.
Ça court, ça pousse, ça fuit. Et dans tout ce mouvement, je me retrouve nez à nez avec Jordan. Lorsque nos visages se croisent, on éclate de rire en même temps avant de se rappeler qu'on est au milieu d'un sauve-qui-peut. Il prend ma main et m'entraîne dans une course folle jusqu'à sa salle de classe.

Là, tout les regards se braquent sur moi quand je m'assoie sur le banc que Jordan partage avec Didier. Des regards plein de sous-entendus, qui me mettent mal à l'aise dans un premier temps, mais je finis par m'en ficher et je me concentre sur la seule raison de ma présence là : Lui.

— Je crois que c'est la première fois que j'entre ici.

— Vraiment ? s'étonne-t-il. Non, tu dois juste avoir oublié...

— Oublié quoi ?

— Tu étais déjà venue passer un communiqué, en tout début d'année, je crois que c'était par rapport à une pétition ou un truc comme ça.

Je me creuse les méninges.

— Ah, oui ! Pour l'accès aux automates d'emprunt, à la bibliothèque.

— Ça a abouti ?

— Mon œil !

Il pouffe. Me regarde, tout sourire. Je m'émeus de voir tant d'éclat accompagner mon reflet dans ses yeux.

— Tu as quel cours ensuite ? il demande.

— Celui avec ta tante. Et toi ?

— Maths. On rentre ensemble après ?

— Boris vient te chercher ?

Il fait mine d'être offensé :

— Quelle intéressée ! Non, aujourd'hui je rentre tout seul, avec toi.

— Dans ce cas, en compensation tu devras me raconter ce qu'il s'est passé entre Marine et Dingue-Dingue, sans omettre aucun détail.

— Et pourquoi tu crois que j'en sais quelque chose, moi ?

— Tu es forcément au courant. C'est ton amie.

Il plisse les yeux, feignant la méfiance :

— Donc tu aimes aussi le kongossa, hein ?

Je lui donne une tape dans l'épaule en ricanant avant de chuchoter :

— C'est pour une enquête top secrète.

— C'est ça.

— Alors, marché conclu ?

— Avec toi je gagne toujours à passer un marché.

Il m'offre un clin d'œil. Je me mords la lèvre en baissant les yeux, ayant compris son allusion.

— Ok, je me reprends juste avant de me lever, à tout à l'heure alors.

Il caresse subrepticement et très légèrement ma main en répondant :

— À toute.

Le roman de Kelly Où les histoires vivent. Découvrez maintenant