Chapitre 6

91 15 15
                                    

Flashback

J'ai de nouveau huit ans. Je me revois dans ma chambre, peinant à trouver le sommeil. Je quitte mon lit pour rejoindre le salon dans l'espoir d'y trouver mon père. J'ai envie qu'il me berce comme il a l'habitude de le faire quand je n'arrive pas à dormir. C'est comme ça depuis le départ de maman. Je fais des cauchemars immondes dans lesquels elle nous abandonne encore et encore. Je me réveille en pleurs, recroquevillée sur moi-même dans l'espoir de trouver un certain réconfort au creux de mes bras.

Cette nuit-là, quand je rejoins le salon, papa n'y est pas. Pourtant, un mégot à peine entamé repose dans le cendrier au centre de la table du salon où une odeur de tabac s'échappe juste à côté de son éternel verre de whisky. Je prends la direction du couloir qui mène à la fameuse porte, celle qu'on m'a interdit de franchir. Je me suis toujours demandé ce qu'il se cachait derrière le battant, mais jamais je ne m'y suis aventuré. Mes pas me guident pourtant dans le couloir, alors que je serre mon doudou contre moi. À mi-chemin, j'entends des cris ou plutôt des hurlements de douleur. Le bruit est si fort que je sursaute de surprise, mais aussi de peur. Mon père n'est nulle part en vue. Est-ce ses lamentations que j'entends ? Peut-être s'est-il blessé. Si tel est le cas, je dois l'aider. Je me précipite donc vers la porte et tourne la poignée. Elle est déverrouillée. Heureusement. Ou pas. Je descends les quelques marches qui mènent à ce qui me semble être un sous-sol et c'est au pied de l'escalier que je le vois. Un homme est à genoux au milieu de la pièce, les mains liées par des bracelets de fer au bout desquels se trouvent d'immenses chaînes. Son corps semble fatigué, ses épaules sont affaissées et sa tête dodeline vers le sol. L'effet de surprise me fait aussitôt reculer de quelques pas jusqu'à heurter l'armoire derrière moi. Le choc entre mon corps et le meuble en fer produit un bruit métallique qui attire l'attention de l'homme qui lève ses yeux injectés de sang vers moi. Son visage est tuméfié, comme si on l'avait frappé à plusieurs reprises et du sang s'échappe de son nez qui pointe dans un drôle d'angle. Mon souffle se coupe, si bien que je cesse de respirer. C'est à ce moment qu'un autre homme sort de la pénombre. D'où il est, il ne peut pas me voir, mais j'ai tout le loisir de l'observer. Je reconnais mon père, tenant dans ses mains un bâton de bois.

— Alors, Marcus, je te pose la question une dernière fois. Où est-elle ?

— Je n'en sais rien, je te l'assure, répond le martyre.

Mon père émet un rire presque hystérique. Jamais je n'ai entendu ce son qui me glace désormais le sang, jamais je n'ai vu une telle noirceur dans ses yeux, un tel plaisir dans son sourire. Le plaisir de faire souffrir. Quand son rire se tait, il serre le bâton entre ses mains jusqu'à en faire blanchir ses phalanges et le brandit sur le dos de son prisonnier. Un cri de surprise m'échappe. Je tente de le taire en posant une main sur ma bouche, mais le son l'alerte. Le regard de mon père se pose sur moi. J'y vois de la surprise, de la tristesse, mais aussi beaucoup de colère. Je tremble comme une feuille. Dans mes pupilles, il n'y a que de la peur.

— Je t'avais pourtant dit de ne jamais franchir cette porte ! crache-t-il.

Pétrifiée, je ne bouge pas, mais je peux sentir les larmes dévaler mes joues. Il m'attrape par le poignet et me fait remonter de force. Je le laisse faire. Une fois dans ma chambre, ses yeux rencontrent les miens et la tendresse transforme ses traits. Il passe une main sur ma joue pour cueillir mes larmes et me prends dans ses bras.

— Je suis désolé que tu aies assisté à ça, souffle-t-il, des regrets dans la voix.

Et comme je n'ai plus que lui, je me mets à pleurer dans ses bras et il me console. Ensuite, il me met au lit en me racontant une histoire comme si rien ne s'était passé, comme si un gouffre ne venait pas de se creuser entre nous.

Black Roses- En coursWhere stories live. Discover now