Chapitre 14 - Hëna

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Pandore était magnifique pendant la séance de théâtre. Et pourtant elle n'avait pas spécialement fait d'efforts, elle n'avait pas l'une de ses magnifiques robes ou tenues sophistiquées qu'elle avait habituellement. Elle n'avait pas de coiffure ou de maquillage incroyable. Et pourtant elle était belle. Elle était belle comme la fin d'une tragédie. Elle était belle comme l'interdit et l'impossible à la fois.

Je ne pouvais cesser de penser à elle, elle me hantait, nuit et jour, et je ne pouvais m'empêcher de repenser aux deux semaines chez Orion, la facilité avec laquelle on avait de communiquer... Depuis la reprise c'était impossible d'être seules, il y avait toujours du monde autour de nous, et j'avais l'impression que venir la voir la dérangerait.

Surtout que le retour en classe, la reprise des devoirs, des notes, tout ça nous ramenait à ce que nous étions avant : rivales. Et ce ressentiment était toujours présent, elle était et serait toujours une menace pour moi. Alors je devais garder une certaine distance, cesser de m'attacher autant, cesser de désirer sa présence plus que tout, me concentrer sur les cours à nouveau, et me reprendre en main.

Alors la vie reprenait sa route, mes amis ne me parlaient plus d'elle, je l'effaçais de mes pensées, du moins j'essayais. Je me devais de la battre, quoi qu'il arrive.

Alors j'allais en classe, j'écoutais, je lisais des livres, je jouais aux échecs avec Mélodie, je gagnais contre elle car elle parlait de Jess. J'apprenais la pièce de théâtre de l'année, je m'entraînais devant mon miroir, je faisais tout pour améliorer mon jeu d'acteur, mon élocution. Je participais à des concours d'éloquence, où je me retrouvais toujours en finale avec Pandore. Et une fois je gagnais, la fois d'après c'était son tour... Nous étions toujours à égalité.

Et puis j'essayais d'aller en forêt, quelques jours après la reprise. L'environnement était sécurisé, alors je me dis que je pouvais essayer de reprendre l'entraînement de ma magie. Mélodie, Jess et Kellan m'accompagnaient, pour que je ne sois pas seule au cas où quelque chose arriverait. Alors nous nous retrouvâmes à quatre coincés parmi les arbres, avec moi qui mettais le feu aux branches avant de les éteindre rapidement.

Kellan essayait de me parler pour me distraire, afin que j'apprenne à gérer mon pouvoir en me concentrant de moins en moins. Il faisait le clown, ce qui nous fit rire, mais j'arrivais à mieux contrôler ma magie. J'étais contente de moi, peut-être que cette fois-ci je pourrais avoir mieux que dix-huit sur vingt en développement des dons. Alors mes amis m'aidaient à m'entraîner pendant près d'une heure, et à la fin je soupirai :

— Maintenant j'ai besoin de me détendre...

— Si tu veux... proposa Jess avec un sourire innocent. On se fait une petite soirée dans ma chambre tous ensemble, j'ai de quoi boire.

Le visage de Kellan s'illumina, et je finis par acquiescer. C'est alors qu'après le dîner à la cantine, nous finîmes nous quatre dans la petite chambre du garçon, qui sortit une bouteille de sous son lit. Chacun notre tour, assis par terre, nous prîmes une gorgée au goulot, et je me laissai m'adosser au bout du lit de Jess, et observai mes amis. Mélodie avait lissé ses cheveux bleus et portait encore une tenue entièrement noire mais élaborée, elle savait toujours bien s'habiller et j'en étais impressionnée. Elle était collée à Jess, qui était bien basique pour être avec une fille comme elle, mais bon. Et Kellan avait accordé son t-shirt avec ses yeux verts, chose qu'il adorait faire car cela les mettait en valeur, disait-il. Je ne comprenais déjà pas ce qu'ils disaient, riant aux éclats, et se murmurant des choses. Ils semblaient heureux tandis que moi j'avais l'impression que quelque chose clocherait toujours.

— Quel est ton plus grand rêve ? me demanda Jess en se tournant vers moi.

— Euh...

— Je sais ! Etre la meilleure dans tout, s'imposa Mélodie.

— Mais non... C'est sortir avec... commença Kellan, avant que je le fusille du regard.

— Je ne sais pas, le coupai-je. J'ai envie de réussir, d'être enfin satisfaite et fière de moi.

— Et tu penses y arriver ? demanda Jess.

Je plissai les yeux, Kellan faisait oui de la tête, et je répondis :

— J'en suis tout à fait capable, il faut juste que je donne le meilleur de moi-même.

— Et tu ne le fais pas déjà ? questionna honnêtement Mélodie, s'appuyant sur ses mains derrière son dos.

Je n'en savais rien. Je ne savais même pas ce que je voulais réellement, mais je ne me laissais pas abattre.

— Peut-être, à mon avis je pourrais toujours faire mieux. Mais je fais déjà beaucoup.

Ils acquiescèrent, et Mélodie changea de sujet :

— Et sinon Kellan, ça se passe bien chez toi ?

— Oui, ça m'a fait du bien de revoir ma famille, mais je suis mieux ici avec mes amis.

— T'as bien de la chance. Moi j'ai dû passer les vacances chez Jess !

— Ça n'avait pas l'air de te déplaire, dit celui-ci en lui faisant un sourire narquois.

La bouteille était au centre de notre petit cercle, je me penchais pour la récupérer et boire une gorgée avant de retrouver ma position précédente. J'essayais à tout prix d'éviter de penser à l'avenir, mais aujourd'hui j'avais vraiment l'impression d'être dans une impasse. Le professeur de rituels magiques avait évoqué l'avenir, le nôtre, ce que nous pourrions faire après cette université, que ce soit continuer les études ou directement nous trouver un travail. Il l'avait évoqué qu'une seconde, et pourtant cette idée avait tourné en boucle dans mon esprit. Je n'avais aucun avenir, à part jouer à la peste des cours d'écoles, vouloir battre tout le monde et être la meilleure, je ne savais pas faire grand-chose. Je n'avais pas de réelle autre ambition. J'étais forte en tout, plus ou moins.

Je finis par me lever sans mot dire, titubant jusqu'à la porte.

— Hëna, qu'est-ce que tu fais ? m'interpela Kellan qui m'attrapa la jambe avant de se lever à ma hauteur.

— Je sors, je retourne chez moi.

— Tu es sûre que ça va ?

J'acquiesçai, ouvris la porte et ris en disant au revoir à mes amis encore à l'intérieur. Kellan me suivit dehors.

— Il faut vraiment que tu me parles.

— Je n'ai rien à dire, je vais dormir, j'ai besoin de repos.

— Je t'accompagne jusqu'à ta chambre.

Je levai les yeux au ciel, récupérai mon couloir, et me figeai dans les escaliers en apercevant Pandore avec sa colocataire... Liv. Elles semblaient proches, et j'enrageais. J'avais l'impression qu'il était possible qu'elles soient plus que des amies. Kellan se cogna à mon dos quand je m'arrêtais subitement, et il émit un bruit qui attira l'attention des deux filles. La colère bouillonnait en moi, et sans réfléchir, j'attrapai Kellan, plaçant mes mains sur ses deux bras, et l'attirais à moi pour l'embrasser. J'étais pathétique. Mon ami se libéra de mon étreinte et recula, oubliant les escaliers qui le firent dégringoler en arrière en poussant un cri. Et la panique reprit.

— Kellan, je suis désolée ! m'exclamai-je en le rejoignant à toute vitesse pour le rattraper.

— Mais à quoi tu joues, Hëna ? s'énerva-t-il, plus bas, s'asseyant en se tenant la tête.

Il saignait, il fallait faire quelque chose. Pandore et Liv accoururent et l'aidèrent à se lever. Je me sentais plus bête que jamais, d'autant plus quand Pandore me jeta des regards noirs.

— Il faut l'emmener à la chambre de Xan, dit-elle clairement.

Dans mon ivresse je tentai de me souvenir du numéro de sa chambre, le dis et les filles l'emportèrent là-bas.


Sous le murmure des ombresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant