Chapitre 9 : Pandore

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Un vase reposait sur une table en bois non loin du piano auquel était installée Pandore. Les quelques roses qui y étaient rangées s'apprêteraient à faner si l'un des élèves aux pouvoirs liés à la nature ne les aidait pas à survivre. Pandore laissait ses doigts gracieux se balader sur les touches de l'instrument, l'esprit concentré sur la partition. C'était dans ces instants qu'elle se sentait le plus en phase avec elle-même, et la plus sereine.

L'opéra de l'université Villarian était une immense pièce aux sièges et rideaux rouges, et aux murs décorés d'or. Pandore, qui aimait tant s'y retrouver en toute solitude, avait négocié pour en obtenir les clés, et c'est ainsi qu'elle pouvait jouer en toute tranquillité. Elle y venait alors souvent entre deux cours ou le soir, quand elle n'avait pas trop de travail.

Les notes de musique s'envolaient dans la salle, et enlaçaient le cœur de Pandore d'une douceur enivrante. Sa longue chevelure bouclée tombait joliment sur ses épaules et s'agitait au rythme de la musique. Pandore portait une longue robe couleur bordeaux, cintrée à la taille, qui lui donnait le sentiment d'être la reine du monde.

Si l'ambiance générale à l'école semblait devenir étrange et le temps paraissait s'arrêter, tout continuait de tourner, et Pandore ne devait pas oublier de donner le meilleur d'elle-même pour réussir. Surpasser les autres, et se surpasser. Alors les heures devant le magnifique piano, devant ses cahiers de cours, ou à danser, ne seront pas comptées, il fallait atteindre tous ses objectifs. Et parmi ceux-là, elle devait décrocher le premier rôle de la comédie musicale annuelle. En première année, elle n'en a pas eu l'occasion, car les nouveaux étudiants ne pouvaient pas avoir de rôles majeurs, mais cette fois-ci, elle ferait tout pour l'obtenir.

C'est pour cela qu'elle devait compter sur ses talents en danse et en piano. Elle devait donc se perfectionner avant de pouvoir les mettre en avant, et surpasser tout le monde.

Pandore inspirait donc tranquillement en jouant son passage préféré d'une mélodie, elle y mettait toutes ses émotions, tout ce dont elle ne pouvait pas parler, tout ce qu'elle ressentait. Elle voulait qu'on puisse la comprendre en entendant une seule note.

Un bruit soudain la fit sursauter, la porte qui claqua, et une seconde de vulnérabilité. Pandore eut peur qu'il s'agisse de l'assassin d'Amélia, qui vienne lui régler ses comptes, mais elle ne reconnut dans l'obscurité que la démarche prétentieuse et féline d'Hëna.

- Ça vient donc de toi cette cacophonie... murmura-t-elle.

Sa voix résonna dans la pièce vide, et un sourire était plaqué à sa bouche. Pandore leva les yeux au ciel, et répliqua en commandant au vase de la heurter, mais l'étudiante rattrapa l'objet avant qu'il puisse l'atteindre.

- Trop lent, je te conseille deux heures de plus devant tes livres ce soir.

- Fiche-moi la paix, Hëna, je suis occupée.

- Tu as mis de l'eau partout, je t'en prie, nettoie-moi tout ça.

Hëna effleura les roses du vase, avant de reposer l'objet sur la table où il était, en jetant de nouveau son regard sur Pandore :

- Les pauvres, d'abord tu les fais souffrir avec ta musique, puis tu les tortures en les bousculant. T'es vraiment monstrueuse.

Le sang de Pandore bouillonnait, elle ferma les poings fortement pour contenir sa colère, elle qui voulait quelques instants de tranquillité... Elle se leva subitement de sa chaise et s'approcha de sa rivale, d'un air menaçant.

- Hëna tu vas quitter immédiatement cette pièce, je n'ai pas que ça à faire que t'écouter déblatérer, laisse-moi tranquille.

- En tout cas, cette robe te va à merveille, minauda-elle en effleurant le tissu de ses doigts, un sourire aux lèvres.

- Va-t'en ! ajouta Pandore en repoussant son bras et se retournant pour faire s'évaporer l'eau tombée par terre par télékinésie.

- Cette pièce appartient à tout le monde, je reste donc ici.

Hëna profita des quelques instants d'inattention de la part de sa camarade pour lui prendre la place au piano et poser son doigt sur une touche. Pandore soupira longuement et répondit, par-dessus le son :

- Elle appartient à tous lors de ses horaires d'ouverture, or là c'est censé être fermé, et c'est moi qui détiens les clés, donc elle m'appartient.

- Non, princesse, je les ai, rit Hëna en attrapant le trousseau qui était posé sur l'instrument et le secouant pour la narguer.

En une seconde, Pandore récupéra ses clés par magie, et lui sourit victorieusement. Cependant, cela ne réfréna pas Hëna, et elle laissa ses doigts glisser sur les touches. L'atmosphère se changea entièrement en un instant, et une trêve fut faite. Le monde changea totalement de couleur, et toute la haine, la colère, semblèrent s'évaporer dans les cieux. Il ne restait plus qu'elles et la musique. Et leurs voix qui résonnaient doucement.

- Danse pour moi, murmura Hëna par-dessus la musique.

- Je ne peux pas...

- Dans nos souvenirs on se dira que ce n'était que pour t'entraîner. Danse, Pandore.

La mélodie était envoûtante et la salle si grande, pour ces deux jeunes filles, l'une installée fièrement au piano, jouant avec aisance, l'autre, qui débuta une danse maîtrisée. Pandore contrôlait son corps avec perfection, et chacun de ses mouvements était élégant et séduisant, imposant de grâce et légèreté. Elle s'adaptait complètement au rythme d'Hëna, et on sentait en elle tant de maîtrise et de sérieux, et pourtant son improvisation se montrait totalement unique. Elle était d'une affolante splendeur, captant l'entière attention d'Hëna qui se sentit vaciller.

Lorsque la musique se finit, Pandore reprit sa posture naturelle et se recoiffa comme si rien ne s'était passé, et Hëna resta sans voix.

- C'est bon, tu peux y aller désormais, commenta Pandore, l'invitant une fois de plus à partir.

Hëna leva ses yeux maquillés vers elle, puis feuilleta les partitions sur le pupitre de l'instrument, ignorant sa demande. Elle finit par dire :

- C'est toi qui as commencé à composer quelque chose, ici ?

- Oui.

- Mmhh... Pandore, tu sais que tu es vraiment envoûtante quand tu danses, et très belle, je ne le nierai jamais. Il n'y a aucun doute, tu as tes chances de l'obtenir, ce premier rôle.

- Je le sais, acquiesça la jeune fille avec confiance.

Pandore ne pouvait pas croire en l'honnêteté d'Hëna, mais elle croyait en elle-même, et n'avait pas besoin de la validation d'autrui, et encore moins de celle de sa rivale. Hëna se leva, et termina sa phrase :

- Et ces chances, je m'occuperai moi-même de les détruire.

Sur ce, elle créa une étincelle sur la partition de Pandore, qui grandit rapidement, puis elle l'éteint avant que cela prenne réellement feu. Cependant, tout ce que Pandore avait noté était ruiné, brûlé. En quelques secondes seulement. Pandore jura pendant que sa rivale quittait la pièce, le dos droit, et le menton relevé.

La jeune fille se retrouva donc seule, dans le silence et l'odeur de brûlé. Elle avait envie de hurler sa frustration. Elle fouilla donc les feuilles sur l'instrument, et sortit sa copie de l'avancée qu'elle avait déjà faite. Pandore avait toujours été très prévoyante, habituée aux pièges de sa rivale, elle avait appris à toujours avoir deux fois le même brouillon. Cependant, elle se vengera, et Hëna le regrettera.

Pandore continua quelques répétitions de son morceau, jusqu'à ce que la fatigue lui prenne le dessus. Elle décida donc de longer les couloirs en direction de l'internat et de sa chambre, où après s'être démaquillée et changée, elle s'assit à son bureau et commença à relire ses cours de la journée à la lueur d'une bougie.

Sous le murmure des ombresWhere stories live. Discover now