Chapitre 17

Depuis le début
                                    

Le lendemain de l'hospitalisation de maman, il a été convenu que chaque jour je rentre me débarbouiller et dormir à la maison. Selon Angélique, je ne devais même pas rester autant à l'hôpital. Ce n'était pas bon pour ma psychologie ; et puis eux, les adultes, se chargeaient tout à fait de rester avec maman. Elle a proposé que je rentre définitivement et que je ne repasse qu'aux heures de visite. C'était le plus approprié.
Évidemment, je n'étais pas d'accord et William, répondant à tous mes désirs depuis que je risque d'être orpheline, a demandé à ce que ma volonté de rester soit respectée. Il ne me raccompagnait donc que pour me laver, prendre quelques affaires nécessaires, et me ramenait aussitôt à l'hôpital.

— Si, j'ai dormi hier en journée.

— Une sieste de deux heures, a précisé ma tante, sur le banc !

— Je sais que tu as envie de rester auprès d'elle autant que possible, a repris mon beau-père, mais nous ne pouvons pas te laisser ruiner ta santé. Ce serait la dernière chose que ta mère elle-même voudrait.

— Regarde comme tu as mauvaise mine ! a poursuivi Angélique. On dirait une toxicomane.

William l'a menacée du regard et elle s'est immédiatement tue, mordant à pleines dents son croissant.

— Kelly...

— Ok, j'interromps l'homme. On y va. Mais je reviens passer la nuit ici.

Il opine faiblement.

À présent l'eau froide coule délicatement sur ma peau. Perdue dans mes réflexions, je ne l'entends plus atterrir sur le carrelage et ruisseler mélodieusement. Je n'ai en tête que la voix mortifiante du médecin qui nous a annoncé avant-hier que maman était tombée dans le coma. La même phrase, en répétition. Invraisemblable. Insoutenable.

Après m'être habillée, je m'allonge et décide de consulter mon téléphone. J'ignore volontairement les nombreux messages de soutient de mes potes à qui j'ai fait part de l'état de ma mère. Et alors que je fais défiler l'écran de mes discussions de manière lasse, un nom parmi les autres se démarque et retient malgré tout mon attention.

Jordan m'a envoyé un « Joyeux Noël, Maîtresse ». Je ne sais pas comment le prendre. D'une part, vu l'ironie de la situation, je dois dire que son message tombe TRÈS mal. D'autre part, il n'est au courant de rien et, je dois l'admettre, je suis un peu émue qu'il ait pensé à moi malgré le fait que je l'aie délibérément évité depuis notre baiser.

J'ouvre la discussion et réfléchis à quoi répondre. Je ne vais quand même pas lui écrire « Merci, à toi aussi » sans scrupule ; ce serait hypocrite...
Finalement je le laisse en vu et me dirige vers Apple Books. Je commence la lecture d'un nouveau roman, espérant ainsi échapper, l'espace d'un instant à cette réalité abominable.

Environ une demie heure plus tard, alors que je m'y attends le moins, mon téléphone se met à sonner. C'est lui. C'est Jordan. Mon cœur ne peut s'empêcher de s'emballer. Pourquoi il m'appelle ?
J'inspire un grand coup et décroche.

— Allô ?

— Pourquoi tu m'ignores ?

Oh ! Plus direct encore, s'il te plaît !

— Jordan, je... je ne...

— Si, ne le nie pas. Tu viens clairement de snober mon message. Je sais que tu l'as lu.

— Arrête ! hurlé-je. Je ne suis pas d'humeur à discuter d'affaires d'orgueil ou je ne sais quoi. Tout sauf ça, s'il te plaît.

Un long silence pesant s'établit.

— Ça va ? finit-il par me demander, d'une voix tranquille.

Les battements de mon cœur prennent un rythme démesurément effréné, une effervescence brûle intensément dans mon thorax. Pour la première fois, je réalise tristement que depuis tout ce temps, j'avais besoin que quelqu'un me pose cette question ; que quelqu'un se préoccupe de ce que je ressens sans chercher à me juger, ou à me dicter une conduite particulière sous prétexte que j'attirerais le malheur en exprimant mes émotions. Et j'éclate en sanglots.

— Non ! Non... Non, ça ne va pas !

Je n'ajoute rien. Jordan non plus. Et pendant de longues minutes, en silence, il m'écoute pleurer.

Ma crise de larmes passée, je suis étonnée de l'avoir encore au bout du fil. Et calmement, il me demande si je veux en parler. Alors je me livre à lui. Je lui raconte tout, dans les moindres détails.

— Elle s'en sortira.

— Et si non ? Imagine qu'elle meure. Je ne me le pardonnerais jamais. J'ai été tellement ignoble avec elle...

— Arrête. Rien n'est de ta faute.

— Tu as raison. Je ne devrais pas me sentir coupable. Mais William, lui, il devrait.

— Non. Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire non plus.

— Je sais mais je te le fais savoir. S'il la traitait mieux, elle n'aurait certainement pas fait ce malaise. Et pire encore, s'il n'avait pas absolument voulu avoir un enfant, elle n'aurait pas fait cette fausse couche qui lui a fait perdre trop de sang. Elle ne serait pas dans le coma à l'heure actuelle et...

— Kelly... Kelly, attends.

Je freine mes ardeurs et respire calmement.

— Tu sais, quand on traverse une situation difficile, on a tendance à vouloir trouver un ou plusieurs coupables à ce qu'il nous arrive. Parfois, c'est à nous-mêmes qu'on s'en prend. C'est normal et même, je crois savoir, un besoin naturel chez l'humain. Mais ce n'est pas la solution, au contraire.

Je l'écoute attentivement. En plus d'être douce et apaisante, sa voix est rassurante. Il continue en annonçant :

— Permets-moi de me confier à mon tour...

Le roman de Kelly Où les histoires vivent. Découvrez maintenant