Chant 5

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« Et dans les siècles des siècles, les ennemis de Dieu seront appelés Naamah, impies parmi les impies. » Proverbe hyksos.

Kynya redescendait vers le port en s'entretenant avec le serpent écarlate qui se trouvait sur son dos.

— Je t'assure, guerrière, tu devrais te rendre au bureau des confessions, chercher un formulaire avec les listes des aveux à faire et l'apprendre par cœur. Ce serait vraiment bien avant ton jugement.

— Je te l'ai dit, reptile, je refuse d'aller dans un endroit qui s'appelle « le bureau des confessions ».

— Mais, en revanche, avancer d'un pas plus ou moins décidé pour faire les dieux savent quelle bêtise innommable, ça passe ?

— Tout à fait.

Elle s'arrêta de marcher. Ils venaient de dépasser une maison dont la porte était ouverte. Des cris et des gémissements en provenaient. Intriguée, Kynya y entra sans hésiter. L'endroit était simple. Elle avait pu le constater en jetant des regards curieux par les fenêtres entrebâillées, toutes les habitations se composaient de deux pièces, sans aucun mobilier. Des demeures vides qui donnaient à la Cité des Morts un côté complètement artificiel.

Elle pénétra dans la pièce et le spectacle qu'elle découvrit la fascina autant qu'il la révulsa.

Une douzaine de personnes étaient présentes. Toutes présentaient des signes de décomposition. Ici, une femme n'avait plus de poitrine ni de chair sur la cage thoracique. On apercevait ses côtes blanchies. Là, un homme avait la peau tellement flasque et ridée qu'elle tombait en cascades successives et finissait en une immense bedaine gélatineuse. Il approchait son visage blafard d'un autre cadavre ambulant, tentant vainement de l'embrasser de ses lèvres putréfiées. Et tous les autres présents dans cette pièce étaient engagés dans un mime frénétique et pathétique de l'amour.

Kynya eut un haut-le-cœur.

— Beurk ! Mais qu'est-ce qu'ils fichent ?

— Ils rejettent leur mort, Kynya, ils se raccrochent éperdument à ce qui les fait se sentir vivant.

— Mais pourquoi les laisse-t-on pourrir comme ça ? Pourquoi n'en finissent-ils pas ? Pourquoi ne vont-ils pas passer ce foutu jugement ?

— Ils l'appréhendent, comme toi.

— Quoi ?

— Ils refusent de vivre la pesée de l'âme, de peur de la rater. Ils sont terrifiés, comme toi.

Elle contempla le spectacle des morts-vivants se frottant les uns contre les autres avec des bruits de succion écœurants. Fascinée par l'horreur, elle ne put détacher un temps son regard de la scène.

Sa main à elle, quoique toute ridée, paraissait de première jeunesse à côté de ce qu'elle avait sous les yeux. Elle caressa lentement le cou du serpent, qui se colla contre sa paume à la manière d'un chat.

Puis soudain, ses doigts se resserrèrent, juste en dessous de la gueule du reptile.

— Doucement, tu as encore de la force pour une femme de ton âge.

Elle fixa ses yeux dans ceux de Botis qui y lut une volonté sans faille.

— Non, reptile. Je n'ai pas peur. Ce jugement est inique, et je le refuse de toute mon âme. Fais ce que tu veux, moi je pars de ce lieu de folie !

Elle sortit de la maison et reprit sa marche vers les docks. Plus déterminée que jamais.

La barque d'or était toujours là, étincelante comme un soleil d'été amarré à son ponton. Kynya ne put la contempler longtemps tant les rayons qui en émanaient brûlaient sa cornée de vieille femme.

La Cité des Morts - Cycle du Kimet - Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant