La Cité des Morts - Cycle du Kimet - Tome 3

Chant 2

 « Il est Khenty ta djeser, "Celui qui est à la tête du Pays sacré" et Neb ta djeser, "Seigneur du pays sacré". Il est le grand Anubis, guide des âmes dans l'au-delà. Témoigne-lui la même déférence et la même soumission qu'à ton pharaon. »

Texte de la grande pyramide.

Ils émergèrent des ténèbres pour se retrouver au bord d'une rivière qui faisait plusieurs dizaines de mètres de large.

— Par les dieux, ces ténèbres semblaient...

Kynya eut du mal à terminer sa phrase. Botis lui susurra le mot à l'oreille.

— Vivantes ?

— Oui !

— Ce n'était pas une impression, mercenaire. Elles le sont bel et bien. Cette chaleur moite que tu as sentie, cette odeur...

— ... de sexe et de sang.

— Les ténèbres sont le corps de la Déesse. Mais je suppose que tu en sauras plus à la fin de ton voyage.

— Toujours ces mystères à la con...

— Que veux-tu, il ne faut pas gâcher la surprise.

Au sortir de l'obscurité, Anubis avait adopté une taille plus humaine, bien que dépassant encore Kynya d'une bonne tête. Botis était enroulé autour de la poitrine de la Nubienne, son crâne reposant sur son épaule gauche. Avec stupéfaction, Kynya s'aperçut qu'elle était maintenant vêtue d'une tunique rouge sang.

— Cela te va bien, souligna le serpent.

— Oui, mais... que se passe-t-il ? Mes mains !

Avec horreur, elle vit qu'elles étaient ridées et osseuses. Instinctivement, elle effleura son visage de ses doigts, constatant au toucher que celui-ci était dans le même état.

— Que m'arrive-t-il ?

Sa voix tenait du croassement famélique typique de la vieillesse, loin du timbre chaleureux et énergique qui était habituellement le sien.

— Il semble que j'ai soixante ans !

Le serpent s'étira tout en restant sur son épaule, histoire de la contempler avec du recul. Il eut à nouveau ce désagréable sifflement sarcastique.

— Je dirais plutôt quatre-vingts bien sonnés.

— Je me sens mal... tellement faible...

— Oui, en général, cela va ensemble. Le temps n'est vraiment pas quelque chose qui vous réussit, à vous les humains.

— Mais... pourquoi ?

— Ton esprit a souffert, comme ton corps. L'état dans lequel tu es traduit cette souffrance.

Elle ne sut que répondre et regarda autour d'elle. Ils se trouvaient dans une plaine d'herbe grasse et... bleue. Le ciel qui les environnait avait une teinte verdâtre. De gros nuages floconneux et grenat parachevaient d'installer une ambiance oppressante. Loin à l'horizon, une lumière intense pointait, comme les premiers reflets de l'aube.

Ils marchèrent quelques instants en silence. Kynya avait perdu toute notion temporelle.

Est-ce la vieillesse qui m'accable soudain ? J'ai du mal à maintenir un fil de pensées continu et rationnel. Depuis combien de temps avançons-nous ? Une heure ? Dix minutes ? Une journée ?

Plusieurs fois, Anubis tendit le bras vers l'horizon, indiquant la lueur. Celle-ci semblait être leur but alors qu'ils progressaient parmi les herbes hautes et bleues sur ce qui s'apparentait à un chemin. Des bruissements se firent soudain entendre de part et d'autre de leur groupe. Avec un temps de retard qui lui fit honte, Kynya porta la main à sa ceinture, à la recherche d'une épée qu'elle n'avait pas.