Le retour des héros tourmentés

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Encore vêtu de mes habits crasseux, je m’avachis nonchalamment sur la banquette de mon salon puis soupirai d’aise en compagnie de ma Clotilde. Ruisselante de joie, ma charmante filleule se pressa contre mon buste et se lova aux creux de mes bras, qu’importe le remugle insupportable de sueur rance que ma peau et mes vêtements exhalaient. Diantre ! que cela faisait du bien de retrouver son chez-soi et de s’octroyer un repos bien mérité après tant de semaines d’absence.

Adieu région de malheur, adieu peuple de miséreux où règne encore la désolation et l’infamie ! Jamais la capitale ne m’avait tant manqué. Je me sentais exténué mais heureux de pouvoir enfin demeurer dans ma grotte, paresser au beau milieu de mes biens aux odeurs et à l’aspect si familier. Mon manoir était tel que je l’avais quitté, rien n’avait été altéré dans ce lieu préservé.

Sur le rebord de la fenêtre, mes perruches gazouillaient sur leur perchoir, leur plumage d’un vert tendre bien mis en évidence devant le rideau de velours pourpré. Je pris un temps pour les observer, attendri devant leur flegme naturel. Sous leurs pattes griffues, mon fabuleux lupus Cervinaris gisait immobile. Les ardents rayons du soleil estival éclairaient son pelage. Contrairement à la Mal-Bête, mon spécimen était diamétralement plus petit et bien moins trapu mais également plus clair et mordoré.

Dans cette pièce silencieuse, mes oreilles discernaient seulement le piaillement de mes oiseaux ainsi que le souffle de la jeune femme dont la tête était nichée contre mon cou pour le couvrir de chastes baisers. Je me laissai entraîner par la torpeur, bercé par la chaleur de ce corps féminin et la douceur de cette atmosphère si sereine. Un parfum de rose et de cire d'abeille flottait dans l’air tiède. Un bâillement à m’en décrocher la mâchoire s’extirpa de ma bouche. Les paupières lourdes et les sens cotonneux, je fermai mes yeux irrités par la fatigue et me laissai envahir par le sommeil.

***

Ma porte d’entrée s’ouvrit et Clotilde pénétra dans le salon, tenant en ses mains un plateau d’argenterie sur lequel étaient disposées la gazette du jour ainsi qu’une tasse de café et une coupelle garnie de boudoirs qu’elle posa sur mon guéridon. Je la remerciai puis, après m’être servi une poignée de douceurs que je trempai dans ma boisson amère, entrepris la lecture du Registre Paladin dont la une du jour indiquait :

« Affaire du Gévaudan : procès du père Rochefort. L’homme est écroué et démis de ses fonctions religieuses pour trahison et blasphème. Reconnu coupable d’actes de dénonciation. Pour information, l’homme recueillait les confessions de ses paroissiens. Il a fait condamner, suite à son interrogatoire, pas moins de cinq personnes ayant commis des crimes masqués sous l’influence de la Mal-Bête… »

Écrit de la main de Charles, cet article eut le don de me décrocher un sourire. J’étais réjoui que ce fanatique puisse enfin payer pour ses nombreux outrages et entraîne dans sa chute les différents coupables qui, sans cette délation hautement condamnable par les instances religieuses, seraient demeurés dans l’ombre jusqu’à la fin de leur vie.

En ce qui concernait le sort du marquis de Belfont. L’éminence s’était vue contrainte de fuir ses terres au risque de sombrer à son tour. Il avait été retrouvé à La Rochelle alors qu’il tentait de prendre le large avec pour seuls biens trois malles et une maigre valise remplie de louis d’or, dans l’espoir de trouver un asile en territoire anglais. Attendu sur les quais par les milices armées, il avait été arrêté puis conduit à Paris.

Au vu de la gravité de ses crimes, notamment celui de trahison à la couronne, l’homme fut enfermé au Grand Châtelet sans aucune forme de procès. Tel serait son ultime domicile. Quant à sa ménagerie, les spécimens avaient été vendus à différents collectionneurs à l’exception du loup des Cervinnes que le Roi garda pour son propre jardin zoologique et qui, contre toute attente, avait mis bas d’une portée de deux louveteaux. Comme jadis avec sa Précieuse, le marquis avait tenté de faire s’accoupler son trésor avec un des canidés de son chenil et la reproduction avait été un franc succès.

Entre Chien et LoupWhere stories live. Discover now