Excuses et fourvoiement

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Cela faisait plus de quatre heures que je tentais vainement de trouver le sommeil. Isolé dans ma chambre, allongé dans mon lit devenu humide tant je suais à grosses gouttes, je ne cessais de me retourner. Les premiers rayons de l’aurore perçaient à travers mes persiennes. J’étais encore grisé, ma tête tourbillonnait et je sentais les pulsations de mon cœur cogner contre ma cage thoracique.

Mais ce qui m’avait empêché de trouver ce repos tant précieux, était le drame que Charles venait de vivre. Suite au départ du capitaine, nous étions restés un long moment sans nous parler, le regard tourné vers le bas. Rongé par la culpabilité, je ne pouvais soutenir davantage ce visage tuméfié à la lèvre fendue et à la tempe entaillée. Un filet de sang à demi séché s’échappait de l’incision et dévalait sa peau bleuie jusqu’à l’arcade sourcilière.

J’avais honte, honte de ne pas avoir su prendre les précautions nécessaires vis-à-vis de ce lieutenant, honte de ne pas avoir été là pour le protéger contre cette menace que je savais réelle. Malgré toutes mes mises en garde, ce malheur n’avait pu être empêché. Charles avait subi cet assaut tandis que je savourais le mien auprès de ma cavalière dans une ruelle si loin de l’auberge.

Après le choc de cette première vision, lorsque j’étais enfin parvenu à accrocher son regard, j’y avais aperçu davantage du fatalisme plutôt que du désarroi. Était-ce mon ivresse qui avait déformé son expression ou bien mon acolyte avait-il si promptement accepté son sort ? Je ne saurais y répondre et redoutais le moment où je devrais le recroiser, ne sachant dans quel état je le retrouverais.

Quoi qu’il en soit, je partageais sa peine. Je pense n’avoir jamais ressenti un tel élan d’empathie depuis que j’avais sauvé ma Clotilde ce soir-là. Était-ce la similitude de la situation ou, réellement, j’éprouvais envers Charles ce que, jamais encore, je n’avais expérimenté auprès d’un homme.

Joseph paiera très cher pour son crime, qu’importent les sévices octroyés par son supérieur, il ne sera pas le seul à lui administrer une sentence ! Je tiens à corriger cet alpha et à lui infliger une punition à la hauteur de son affront !

En s’attaquant à mon Charles, il m’avait souillé également. Là où j’avais tout fait pour dominer mes ardeurs, monsieur le prédateur s’était laissé emporter par ses pulsions. Il avait nui au symbole de notre phénotype et certainement brisé l’image positive que mon acolyte avait à notre sujet. Je ne pouvais concevoir pire outrage !

De plus, je redoutais de terminer cette traque en solitaire, songeant que monsieur ne voudrait certainement pas côtoyer à nouveau un spécimen de mon genre. Il m’était pourtant d’une aide précieuse, le seul véritable allié qui m’aidait à remettre de l’ordre dans mes idées. Bien évidemment, il se pouvait qu’il travaille aux ordres du marquis de Flandreuil dont les motivations demeuraient encore inconnues à mon esprit. Mais je n’en avais cure en définitive, ses raisonnements m’étaient chers.

Après que nous nous fûmes observés pendant un temps qui semblait avoir duré une éternité, j’avais baissé la tête et bafoué une simple excuse, ne possédant pas les mots pour lui exprimer clairement le fond de mes pensées nébuleuses. Qu’aurais-je pu lui dire de toute manière ? Nicholas m’avait devancé. Il avait joué mon rôle en repoussant la menace et en prenant en charge mon oméga. Que lui avait-il dit ? Combien de temps était-il resté à son chevet avant que je n’arrive et ne le chasse ?

Les bras crispés sur mon oreiller, je soupirai, manquant de sangloter tant je me révélais incapable de calmer mon agitation. Il me fallut attendre encore deux heures avant que je n’ose me lever et daigne me préparer pour affronter le réfectoire. Néanmoins, je trouvai le courage de m’habiller puis descendis. Dans la grande salle, peu de gens étaient présents et tous vaquaient à leurs occupations.

Entre Chien et LoupWhere stories live. Discover now