En proie aux touments

43 9 3
                                    

Deux semaines, c’est le temps qu’il me fallut pour parvenir à surmonter la médication draconienne que m’avait confectionnée mademoiselle Chardon. Le mélange avait foudroyé mon estomac. Tant de jours à demeurer plié en deux devant mon pot de chambre, les organes en feu, des crampes aux intestins et les muscles tremblants. La fièvre avait rendu mes pensées fuligineuses.

Incapable de réfléchir ou de me déplacer, seul dans cette chambre étroite plongée en permanence dans le noir, je me fiais à Valmont dont les passages réguliers me permettaient d’évaluer le temps qui s’écoulait avec une lenteur affligeante. Sa présence m’avait été d’un immense secours.

N’osant l’accaparer plus que de raison, et terriblement gêné qu’il me voie dans un tel état de décrépitude, je ne le laissais pas s’éterniser. Il me soignait et prenait le temps d’échanger un ou deux mots pour me raconter les actions qu’il opérait dans la journée. Il allait même jusqu’à m’apporter des médicaments supplémentaires et du linge propre en plus de mes repas. En revanche, je refusais formellement qu’il s’occupe de mon vase de nuit au vu des déjections que mon organisme aux intestins malmenés évacuait, m’obligeant à aérer continuellement.

Jamais je ne m’étais senti tant honteux. Ma dignité s’était évaporée et je manquais régulièrement de pleurer devant la perte de mon estime. Par chance, jamais mon acolyte ne me fit de remarque désobligeante ni ne m’accorda de regard goguenard. Je l’en remerciais grandement pour cette retenue. Il était à l’inverse méticuleux et serviable, usant de gestes lents pour soigner en douceur les plaies de mon visage puis celles de mon cou survenues quelques jours après.

Car depuis mon agression, je n’avais cessé de garder le collier accroché à ma nuque, incapable de pouvoir l’ôter sans la maudite clé. L’entrave irritait ma peau et entaillait le dessous de ma mâchoire. Je couinais chaque fois qu’Hippolyte passait une compresse d’alcool contre ces plaies suppurantes desquelles suintait un filet de sang.

À mon grand soulagement, il m’apprit que le lieutenant Froissard avait été mis à pied. Sa désobéissance lui avait valu un blâme ainsi qu’un sérieux rappel à l’ordre. Ainsi ne rôderait-il plus dans les parages, retourné sous escorte à sa caserne, laissant le capitaine seul maître d’une maigre cohorte composée de six soldats ; la plupart des subalternes ayant été rappelés pour exercer ailleurs, engagés dans des affaires de plus grande importance. Toutefois, le peu de dragons restants avait été rapatrié à Fonternoy et occupait les chambres voisines, au grand dam de Valmont.

Les douleurs avaient fini par disparaître tant celle de mon organisme que celle de mon bas ventre. Les traits de mon visage étaient redevenus normaux malgré un amaigrissement notable. À présent, je voyais chaque côte se dessiner sous ma peau, mes joues s’étaient creusées, mes membres atrophiés et ma pomme d’Adam saillait. Je pouvais même faire le tour de mes poignets en unissant mon pouce et mon index.

Nonobstant mon isolement, je n’avais pas eu la volonté d’écrire les rapports et encore moins le courage d’envoyer une missive à mon protecteur pour lui annoncer mon agression. Le marquis serait terriblement furieux et abattu s’il l’apprenait, lui faire de la peine m’était inconcevable et je priais pour que le remède administré fonctionne. Nul ne touchait à son bien le plus précieux sans en affronter les conséquences et de Flandreuil pouvait aisément tuer le lieutenant de ses mains, il en avait le pouvoir et en aurait la farouche motivation.

Chaque jour, je regardais mon ventre pour guetter les signes d’une éventuelle grossesse. Je palpai soigneusement la moindre zone et passais mon temps à cogiter là-dessus. Quelle serait ma vie si j’envisageais de le garder, un homme seul avec un enfant dans les bras ? Ma mère pourrait sans nul doute s’en occuper et serait d’ailleurs bien heureuse à l’idée d’être grand-mère.

Entre Chien et LoupWhere stories live. Discover now