Réflexions et suspects

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Seul dans mon espace, disposé à me coucher, je m’allongeai sur mon matelas cabossé. Le lit n’était en rien confortable avec ces couvertures rêches et poussiéreuses desquelles émanait une odeur de sueur rance. Une mince chandelle éclairait ma chambre et crépitait faiblement. À travers le filtre flou de mes rétines, je contemplais le plafond strié de toiles d’araignées. Alors que je soupirai, de la buée s’échappa de mes lèvres tant l’air ambiant était froid.

Je restai un long moment ainsi, les bras écartés en croix. J’étais préoccupé à vrai dire car depuis que nous avions quitté le professeur Leroux, mon acolyte ne m’avait pas accordé l’ombre d’un regard et était demeuré dans le mutisme le plus total.

Juste après l’entrevue, nous avions regagné nos chambres respectives, lui pour s’isoler et moi pour troquer mes nobles apparats au profit d’une tenue plus adéquate dans l’objectif d’aller arpenter les bois. J’avais besoin de cette sortie afin de faire un point sur la situation et ordonner mes idées. Il y avait tant à dire, trop de choses troublantes et tant de suspects potentiels : les marquis de Belfont et de Flandreuil, les dragons, le prêtre, le professeur ou encore madame Chardon. Tous avaient un motif, disposaient d’une personnalité atypique ou exerçaient une fonction qui les rendait suspects.

Il y avait une bête et un ou plusieurs meurtriers. La bête exerçait-elle au profit d’un homme ou bien était-elle totalement sauvage ? Était-elle la Mal-Bête originale ou bien succédait-elle à son prédécesseur, le loup des Chazes ? Pas vraiment un loup, pas vraiment un chien. Un hybride peut-être ? Selon le professeur, il n’était pas impossible qu’une telle chose existe. Du moins, fallait-il prendre pour absolue la parole de ce docte monsieur Leroux.

Il en allait de même pour cette histoire de glande. Pouvait-il y avoir une corrélation entre ces meurtres et ces études que soi-disant le royaume surveille ? Cela concernerait-il l’entreprise de Flandreuil et donc de Charles ? Ce serait pure folie que d’imaginer ce marquis faire assassiner de modestes enfants pour porter de telles études, d’autant que les omégalensis et alphalensis ne représentaient qu’un très faible pourcentage de victimes. Et pour quelles raisons aurait-il fait assassiner le médecin, l’ancien maire et la sage-femme ? Surtout que cela sous-entendrait qu’il avait un complice ici, dans le Gévaudan… un dragon peut-être ? Après tout, le régiment de Nicholas d’Orneval était arrivé peu avant le début de ces trois meurtres.

Soit, admettons, mais pour les meurtres antérieurs ? Ces viols et autres crimes commis sur les victimes assassinées dont l’empreinte de l’homme était plus qu’avérée, étaient-ils l’œuvre de divers sadiques et autres pervers épars qui demeuraient encore en liberté ?

Je grognai, tant de questions annexes me tourmentaient. Qui était le père de Gabriel ? Pourquoi les trois notables avaient-ils été assassinés, y avait-il un lien qui les unissait ? Pourquoi avais-je été choisi parmi tant d’autres pour exercer ici ? Quel était le rôle exact de Charles et celui de son mentor ? Qu’étaient devenus les enfants du défunt comte ? Fallait-il évaluer les travaux concernant les phéromones ou bien ces recherches n’étaient qu’une coïncidence fortuite qui n’avait nul rapport avec l’enquête ?

À cette dernière question, l’image de Charles m’apparut. Je revoyais nettement ce visage blafard et cet air penaud qu’il avait tenté de masquer alors que nous sortions de chez notre hôte. Je me doutais que certaines informations l’avaient déconcerté même si je ne saurais deviner lesquelles. À moins que ce ne soit ses chaleurs qui le rendaient bien plus vulnérable que d’ordinaire. Je ne saurais le dire et je pensais ne pas obtenir davantage de réponses avant le lendemain matin puisque je n’avais pas recroisé Charles de la journée. Il était demeuré prostré dans sa chambre ou du moins, l’aubergiste ne l’avait pas vu en sortir. Son absence m’avait dérouté et je m’étais senti étrangement seul lors du souper.

Entre Chien et LoupWhere stories live. Discover now