Le temps des Aveux

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Tout était calme dans cette forêt nimbée par les chapes brumeuses. Caressées par les rayons mordorés de l’aurore, les feuilles ondoyaient à la légère brise chargée d’humus. Des perles de rosée glissaient sur les fourrés et les branches où les passereaux gazouillaient tandis que lièvres et perdreaux traversaient le sentier. Plus loin, camouflés par les buissons, une biche et son faon broutaient la mousse tendre sur l’écorce d’un vieux châtaigner.

Valmont avait raison, la nature offrait ce qu’il y avait de plus merveilleux en ces premières heures du jour. Cette symphonie champêtre conjuguée au balancier de ma monture eut le don d’amenuiser quelque peu mes angoisses. Je ne savais comment aborder le sujet à vrai dire. Une graine avait-elle réellement germée ou bien je divaguais, inondé par le poids de mes infortunes. Depuis mon réveil, je ne cessai de garder une main posée contre mon ventre où les sensations particulières s’éternisaient.

Arrivé devant chez l’herboriste, je mis pied à terre et accrochai les rênes de Milady à l’anneau. Une boule se formait dans mes tripes. Mon estomac était si noué que j’avais l’impression d’essuyer d’incessants coups de poing dans le ventre. Pantelant, je me fis violence et toquai. Ma colonne se raidit et je bougeai frénétiquement mes doigts moites de sueur. J’entendis le parquet grincer puis la porte s’ouvrit.

Héloïse m’accueillit, un sourire radieux illuminant son visage aux yeux embués striés de veines écarlates. Quand elle me reconnut, il se mua en un rictus et son teint blanchit. Elle semblait prête à défaillir.

— Monsieur Beauharnais ? Mais que…

N’ayant pas le courage de parler, je baissai la tête et me pinçai les lèvres pour ne pas laisser libre cours à mes sanglots. Elle me couva d’un regard attristé et finit par s’écarter. Je rentrai d’un pas lent et hésitant. À son ordre, j’ôtai ma veste et ma rapière que je posai sur une chaise. Elle me conduisit à un fauteuil, me fit asseoir puis s’empressa d’aller remplir un verre d’eau qu’elle glissa entre mes mains.

Je bus péniblement les gouttes glacées puis reposai le récipient sur le guéridon. Elle s’installa face à moi et m’étudia de pied en cap. Je la sentais nerveuse, elle me parlait d’une voix chevrotante comme gênée de me savoir chez elle.

— Tout va bien ? demandai-je, déstabilisé par son comportement qui ne faisait que décupler mon anxiété.

— Oui, c’est juste que… qu’importe…

Elle laissa sa phrase en suspens. Un silence s’instaura pendant lequel mon interlocutrice balayait la pièce du regard, ses doigts froufroutant son étoffe avec acharnement. Malgré mes pensées nébuleuses, je remarquai que son fils n’était pas céans. Néanmoins, des dessins et des pastels gras étaient éparpillés sur le tapis présent à mes pieds, juste à côté de la panière jonchée de poils gris et bruns que les flammes de la cheminée faisaient roussir. Au vu de la grossièreté du traitement, Gabriel en était l’auteur.

— Vous venez pour avorter, je présume ?

Je hochai la tête puis soupirai.

— Êtes-vous sûr d’être… enceinte ? Quels symptômes éprouvez-vous ?

Je me raclai la gorge et lui énonçai mes divers maux ainsi que le retard de mes menstruations. Le visage grave, elle acquiesçait machinalement.

— Ce sont effectivement des indicateurs de grossesse. Je présume que vos réflexions sur le sujet n’ont pas changé depuis la dernière fois si vous êtes venu jusqu’ici.

— Je ne peux garder cet enfant, répondis-je faiblement, sa conception est ignoble. Jamais je ne pourrais le regarder dans les yeux et lui dévoiler ses origines… quel enfant supporterait pareille vérité ?

Entre Chien et LoupTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon