° XIV : L'éthique amphibienne °

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Dans l'obscurité des profondeurs, les seules lueurs aqueuses sont celles de notre incandescence. Aux côtés du visage tentaculaire du général amphibien, la boucle d'oreille, au bout de laquelle pend l'œil à l'iris vert clair, presque de jade, d'un humain.

- Où as-tu eu cet œil ?

- D'un téméraire. Il est venu de lui-même dans l'Arène, en traînant un des nôtres, mort. On ne sait même pas comment il a su où elle était, ni sa valeur pour nous.

- Que s'est-il passé ?

- L'homme a proposé un marché, le corps du mort pour un combat contre le plus fort d'entre nous. Je ne savais pas ce que fort signifiait. Je lui ai dit que ça ne suffisait pas, que son corps irait à ses amis, mais que moi, je voulais son œil.

- Pourquoi ?

Il me regarde droit dans les yeux.

- Pour voir à travers son regard, comprendre ce qui l'avait amené ici.

- Comment l'homme a-t-il réagit ?

- Il m'a toisé, et il m'a proposé un pari : il a misé son œil que je n'arriverais pas à le lui arracher.

Ils avaient encore moins de sens avant, les paris d'Hemingway.

- Il m'a dit qu'il reviendrait le reprendre. Il n'avait pas peur. Toi, non plus. Malgré tous mes attributs pour évoquer la terreur chez l'humain.

- Je n'en suis pas si sûr.

- Alors, pourquoi ne pas fuir ?

- Tu me rattraperais avant que j'atteigne la surface.

- Nous ne chassons pas, ceux qui ne chassent pas. Dans l'Arène, comme en dehors.

- Tous ces crânes, et vous n'attaquez jamais en premier ?

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Je me revois, en pensée, dans l'arène, prêt à jaillir hors de mon immobilité, ne voyant pas d'autres choix.

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- C'est pour ça que vous ne mangez pas d'elfes, vous n'avez rien contre leur chair.

- Tout le contraire, certains en rêve. Bien que l'humain me suffise amplement.

- Mais alors, comment survivre au premier coup, s'il se veut mortel ?

- On le voit au fond de vos yeux, avant l'acte. On en réalise la volonté, juste à votre encontre.

C'est pourquoi les crânes ne sont jamais troué de dos.

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Le visage du général amphibien s'approche et il se baisse au niveau de mon regard, il en scrute les profondeurs.

- Nous ne sommes pas plus rancunier que belliqueux, mais nous demeurons mortels pour ceux qui veulent notre mort.

Il scrute ma réaction, avant de continuer.

- Contrairement aux autres prisonniers de la Grande-Arène, t'as choisi la coopération. Pourquoi ?

- Je ne suis pas sûr.

- Que recherchais-tu à faire ?

- A survivre. A manger. Et à dormir.

- Pourquoi ? Que poursuivais-tu pour vouloir survivre à l'Arène ?

- Mon nom. Le lapin blanc, le bonheur et ce qu'est le Bien. Quelque chose, qui valle quelque chose...

- Une chose n'a de valeur que pour une volonté. Agis-tu au nom de la tienne ou celle de tous ?

Comment agir pour une autre volonté que la sienne ? Et quel tout ? L'humain, l'amphibien, l'animal, le doué de volonté ou le sensible ? Quel nous alors qu'ils s'affrontent tous ?

- Je ne sais plus.

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L'enfant de la JungleWhere stories live. Discover now