° XI : L'arène et la forêt de kelp °

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L'eau. Je sens ses ondulations épaisses sur ma peau. Sa fraîcheur, sur tout mon corps.

Suis-je dans son ventre ? Dans son liquide amniotique ? Je n'entends que les borborygmes dans les ténèbres de ces eaux indéterminées.

Et cette pression, qui m'enlace. Tiré dans les profondeurs, dans son obscurité. Bien loin des hauteurs de l'arbre-monde, de ses vertiges et de toute lumière. Il n'y aura pas de lapin blanc là-bas. Je suis seul avec moi-même, je suis seul avec mon ombre. Trainé par le monstre des eaux, je disparais.

°

Cette odeur. Iodée.

Je... j'ouvre les yeux. Les eaux chatoient. Est-ce un mirage ou y a-t-il du soleil, jusqu'ici ? S'il y arrive, peut être que je me suis trompé.

Je me lève et sens le sable râper mes pieds et genoux. Une barrière de corail forme un cercle sillonné, comme une arène humaine, autour de moi, et de mon adversaire. De ce monstre. L'amphibien.

Cette odeur âcre. Ça empeste le sang. Ces effluves émergent des coraux nous encerclant, des oursins, du kelp même et du sable qui nous soutient. Mais pas des os humains, à moitiés ensablés.

Comment est-ce possible ?

Sur les terrasses multicolores des coraux, des centaines d'amphibiens cliquettent à travers les eaux, comme s'ils étaient juste à côté de mon ouïe. Dans ces ovations et ondes solaires, je me lève. Je regarde le monstre aquatique, l'amphibien, de l'autre côté.

Il se tient un peu comme un varan. Il est couvert d'écailles céruléennes, maculé d'épaisses tâches noires, aussi vives que le néant. Il doit être vénéneux.

Entre les voiles ocres des varechs ondulant vers les cieux, je fixe ses yeux étrangement similaires aux humains, au-dessus de ses tentacules buccaux.

Je grogne et me tape les poings contre le torse.

Il déboite sa mâchoire et révèle, au fond d'un tourbillon tentaculaire, ses crocs. C'est un trou béant.

Sa langue siffle et sa queue fouette les courants, comme pour me déconcentrer.

Je porte ma main à ma ceinture, pour y agripper le poignard à ma ceinture de liane.

L'amphibien ramasse un coquillage, une sorte de mollusque à la coquille conique et aux couleurs passant du rouge sang, sablé, au blanc, presque opalescent. Les spires perlées descendent en colimaçon de sa crête pointue pour atteindre son embrasure. C'est à la fois une arme et un animal.

Ils forment peut-être une étrange relation symbiotique.

Je m'approche, caché entre les algues ocres de cette forêt de kelp. Il semble faire de même. Dans l'ombre doré, je le sens prêt à me bondir dessus.

Je reste immobile.

Je sens sa présence.

J'avance lentement.

Pendant un instant, je repense aux elfes. J'ai cette sensation, comme le moment avant que Sélène m'agrippe, la première fois. Comme si une créature s'apprêtait à jaillir hors de son immobilité, pour...

Je recule aussi vite que je peux et nage vers les coraux. Mais ce n'est pas mon élément. Je fais de mon mieux, avec ce que j'ai appris chez les elfes, et parvient à rejoindre une paroi. Un arthropode marin, semblable à un fossile vivant, y est accroché et m'y contemple. Je m'assoie sur mes chevilles, en équilibre, et le poignard en avant, bien visible, prêt à attaquer dès que l'amphibien sort des algues flottantes.

L'enfant de la JungleWhere stories live. Discover now