10 - L'Autre

236 10 5
                                    

L'autre personnage


   Mes pieds s'enfoncent dans le sable frais. Le cristal à la main, je marche sur la colonne vertébrale des dunes. Je n'ai même pas besoin de me cacher des guetteurs, ils n'interfèrent pas dans leurs propres paris :

   Parviendra-t-il à disparaître dans l'horizon, avant de mourir ?

   Il fait froid. Si froid.

   Sur la surface de ce tombeau, je perds de vue tout signe de vie, toutes tours et toutes montagnes. Il ne demeure que le sable blanc, à perte de vue. Une mer désertique, aux vagues qui n'ont rien que le ciel pour rivage. Je remonte le courant ensablé et ses myriades d'ondulations. Je m'enfonce dans le cœur de cet océan de sel et de poussière.

   Ce désert est glacial...

   Il fait un froid polaire.

   Je lève les yeux : un fleuve nébuleux d'astres et d'étoiles fend le ciel en deux. Ses marées lumineuses submergent les rivages dénudés du ciel nocturne. Et quelques marres stellaires apparaissent sur le reste de cette infinie plage.

   Il fait si froid...

   Les premiers rayons du jour, à double tranchants, apparaissent dans ce paysage boréal. Je me cache derrière un champignon de pierre, aux couleurs du sable. Je m'ensable dans son ombre, afin d'être à peine visible pour des dragons volants, habitués à être nourrit.

*

   Je me réveille en sueur, le cerveau en ébullition. Le soleil est à son zénith. Je contourne le champignon, m'encercueille dans le sable de l'autre face et m'y ré-endort.

 *

   Je m'éveille, dans la fraîcheur nocturne. Les étoiles aussi.

   Je me lève, pour uriner sur le tronc de pierre. Ça pue. J'ai la tête qui balance un peu, comme un mal de mer dans le désert.

   Ma peau craquelle, à la manière de la coque d'un navire qui se fend.

   Au loin, j'aperçois un fennec dévaler un cratère de dune. Un petit dragon rougeâtre plonge sur lui. Il semble l'avoir tué. La chasse est déjà terminée. Il l'éventre d'une griffe et s'y nourrit. Barbouillé de sang et le ventre plein, il s'envole et disparaît à l'horizon. C'est bon signe. S'il y a un petit dragon qui s'aventure jusqu'ici, c'est qu'il doit y avoir de l'eau.

   Je navigue sur les méandres des dunes, mat sur ce dragon.

   Mes mains sont moites, j'ai froid et mon ventre est étrangement silencieux. Je ne connais plus bien la direction, dans ce paysage toujours homogène.

   Je ne suis qu'un radeau à la dérive.

   Je regarde en arrière : le vide. Si ce n'est pour ces quelques pas que je laisse dans mes sillons. Dans l'obscurité, je ne distingue plus bien la couleur des dunes, ni leurs frontières avec les cieux. Si ce n'est que leurs crêtes semblent former des cratères.

   Suis-je sur la lune ?

   J'avance, de pas en pas, sur ces récifs à l'apparence de coulées volcaniques et entre les mers lunaires qu'elles forment. Cet océan astral s'étend à l'infini, tel un vaste désert...

   Je regarde le ciel : la lune.

   Je veux m'écrouler, enlacer le sable, fermer les yeux et m'oublier. Mais, pour ne pas risquer de ne plus voir de levé, il vaut mieux marcher, jusqu'à celui du soleil.

L'enfant de la JungleWhere stories live. Discover now