— Écoute, si tu veux en parler... m'a-t-il encouragée.

— Non c'est pas la peine.

— Ok. Je comprends. Les problèmes de cœur ne sont pas toujours faciles à exposer.

Je l'ai fixé d'un air mitigé.

— Rien à voir. C'est ma mère.

J'ai encore marqué un temps d'arrêt, comme si je pesais en quelques secondes le pour et le contre de cette conversation que j'envisageais.

— Je crois que je lui en veux.

J'ai attendu qu'il demande des précisions, fasse un commentaire ou alors une blague comme à son habitude pour détendre l'atmosphère, mais il n'a rien dit. Il m'a simplement et librement laissé continuer :

— Je lui en veux de ne pas être une femme forte. De ne pas représenter cette figure féminine indépendante et puissante que j'aspire tant à devenir. Je lui en veux de ne pas être un exemple pour moi, et d'ailleurs, je pense qu'aucune jeune fille ne la prendrait comme modèle. C'est ça qui me met en colère.

J'ai levé les yeux vers Jordan, presque sûre que j'allais vite regretter de lui en avoir parlé, soit parce qu'il n'aurait rien compris, ou parce qu'il dirait un truc complètement débile après ça.

— Dis quelque chose, ai-je réclamé avec le sentiment de me tenir en face d'une statue.

— Je... euh... a-t-il bafouillé avant de se racler la gorge. Tu sais, je n'ai sans doute aucune idée de la raison pour laquelle tu portes ce jugement envers ta mère, et ton opinion est peut-être fondée mais... s'il y a bien une chose que je crois c'est qu'elle est certainement plus forte que tu ne le penses. C'est peut-être juste qu'elle ne te montre pas ses combats ou alors que tu les ignores. En tout cas je suis persuadé que d'une façon ou d'une autre, elle est une battante.

— Arrête, t'es pas obligé...

— Oh mais je ne dis pas ça pour te remonter le moral, hein... C'est vraiment ce que je pense.

— Ah ouais ? Et comment tu peux penser ça de ma mère alors que tu ne l'as même jamais vue ?

Il a ouvert la bouche de laquelle aucun son ne s'est échappé et l'a refermée aussitôt, puis il a baissé les yeux et prétendu se remettre à examiner le document que je lui ai remis. Je rêve ou Jordan vient d'hésiter à dire quelque chose ? Alors il réfléchit souvent avant de parler !

— Il n'y a qu'à te voir toi, a-t-il finalement avoué à voix basse, sans relever le regard. « Les chiens ne font pas des chats », n'est-ce pas ?

Ça alors ! Était-il là entrain de me faire un compliment ?

— Eh ben, ai-je repris tout sourire, je suis flattée... Tu me considères comme une femme forte ?

— T'emballes pas. Disons plutôt que tu... T'es une fille qui a du caractère et cela vaut un minimum de respect.

Je n'ai fait que sourire de plus belle.

— C'est bon, maintenant que ta mauvaise humeur est passée on peut se remettre au travail ?

J'ai acquiescé en riant et nous avons continué à réviser.

Au moment de m'en aller, Jordan m'a rapidement parlé d'une fête que son ami Didier organisait pour son anniversaire ce week-end. J'ai été très surprise qu'il m'invite et même, je lui ai demandé s'il était sérieux. Là aussi il m'a répondu de ne pas m'emballer, que Didier comptait sur lui pour inviter le max de filles alors c'est ce qu'il faisait, tout simplement. Tout à coup la proposition a paru moins flatteuse mais je lui ai quand même dit que j'y serais, et que pour le coup je ramènerais Laeticia.

*

— Je ne viens pas, m'a-t-elle répondu aussi violent et sec qu'un vent du désert.

— Mais pourquoi ? Ce sera chouette, en plus tu adores les fêtes, non ?

— Et toi tu les détestes. Pourquoi tu tiens à te pointer à celle-là ? Qui plus est l'anniversaire de Didier Koloko. Je croyais que tu ne supportais pas toute leur bande, là.

— C'est toujours le cas. Mais j'ai accepté pour faire plaisir à Jordan.

À cet instant mon cerveau a semblé s'arrêter brusquement, faire marche arrière, puis analyser scrupuleusement la phrase que je venais de lâcher. Et le regard considérant que m'a lancé Laeticia était, je dois l'admettre, très justifié. Sérieux, à quel moment étais-je passée de « je ne peux pas blairer Jordan » à « je veux faire plaisir à Jordan » ?!

— Tu es plus maligne que ça, ma puce, déclara-t-elle. Nous savons toutes les deux très bien que cette sympathie subite c'est juste pour te mettre dans son lit, et, une fois que ce sera fait, il va te jeter comme ils le font toujours, les gars dans son genre.

J'ai jeté le regard ailleurs puis haussé les épaules d'un air las.

— Et qu'est-ce qui te fait croire que je n'ai pas moi-même juste envie de coucher avec lui ?

J'avais posé cette question uniquement pour ne pas laisser Laeticia avoir le dernier mot de la discussion. Uniquement pour ça, ouais. De toute évidence. Ce n'est pas comme si je pouvais vraiment le penser...

Le roman de Kelly Where stories live. Discover now