— Je vais maintenant vous poser une question : Est-ce que vous croyez au surnaturel ?

Les « oui » se sont mêlés aux « non » moins nombreux dans un chahut abrégé. Les élèves étaient curieux de connaître l'avis de l'enseignant.

— Bien, a-t-il simplement dit en nous tournant le dos.

Il a pris un morceau de craie et a dessiné un arbre au tableau.

— Pensée, physique, métaphysique, a-t-il nommé en désignant successivement le feuillage de l'arbre, son tronc et ses racines. Je suppose que les deux premières notions ne vous sont pas étrangères. Mais en ce qui concerne la métaphysique, qui a une idée de ce que c'est ?

Quelques doigts se sont levés, le professeur a donné la parole à une fille de petite taille au troisième banc de la rangée du milieu.

— C'est la science de tout ce qui est abstrait.

Il hoche mollement la tête, son geste ne semble signifier ni oui ni non.

— Quelqu'un d'autre veut essayer ?

Cette fois, c'est à un volontaire à l'uniforme froissé qu'il demande de se lever pour proposer sa définition.

— C'est une branche de la philosophie.

— C'est à peu près ça, concède le prof. Je complèterais ta définition en disant que c'est une branche de la philosophie qui étudie la nature fondamentale de la réalité. Elle comprend notamment des questions sur la relation entre l'esprit et la matière, ou entre la substance et l'attribut. Mais dans ce contexte, je parle de métaphysique comme... Vous voyez, cet arbre, selon Aristote, c'est la représentation de tout ce qui nous entoure. Comme quoi, tout a un aspect métaphysique. Bien que ce dernier soit plus ou moins caché comme les racines d'un arbre, il n'existe pas moins pour autant et est tout aussi important que le reste.

J'ai levé la main, monsieur Ondoa m'a permis de poser ma question en glissant un « oui » à mon intention.

— Est-ce à dire que vous croyez au surnaturel, vous, monsieur ?

Il a souri.

— Non, a-t-il avoué. Mais je ne vous conseillerais pas d'en faire de même. Vous savez, dans la vie il y a de nombreuses choses que la science ne peut pas expliquer, tellement de choses qui dépassent l'entendement humain... J'en suis conscient, mais je préfère m'en tenir à ce que ma raison peut concevoir.

— Pourquoi ? Je demande, un peu confuse.

— Parce que tout ce que je ne peux pas expliquer m'effraie. Ce qui est absolument lâche. Alors vous, croyez à ce que vous ne pouvez ni voir, ni toucher, ni entendre, ni sentir... Croyez si je vous dis par exemple que l'esprit du bac vient d'entrer par cette porte pour choisir les admis, il passe au-dessus des têtes de ceux qui sont couchés sur les tables mais il s'accroche à vous qui êtes assis droits et qui croyez. Est-ce que vous croyez ?

Un « OUI » collectif et gorgé d'espoir a transpercé mes tympans. Certains élèves qui étaient couchés se sont redressés, d'autres ont continué à roupiller en ne se souciant pas le moins du monde de la leçon.

*

À la pause, je reviens de la cantine le ventre plein et l'humeur satisfaite quand...

— Eh, Kelly !

Je me fige et me pince les lèvres en fermant les yeux comme si je venais de me faire prendre en plein délit. Déjà agacée, je me retourne pour faire face à la voix grave que j'ai étonnamment reconnue.

— Salut, poursuit Jordan. Ça va ?

— Ouais.

— C'est étrange que je ne t'aie jamais vue avant quand même, non ?

J'esquisse un sourire intentionnellement maladroit. Et alors que le garçon qui l'accompagne me détaille de haut en bas d'un air mitigé, une fille à la peau très claire débarque avec trois canettes de soda et en donne une à chacun. Je la reconnais sur le champ. Marine Bengo : jolie, toujours bien apprêtée, fille de diplomate et amie de tout le monde. Ou du moins, connue de tous.

— Salut, m'adresse-t-elle, tout sourire.

Je hoche simplement la tête en guise de réponse tandis que ses yeux s'attardent un peu trop à mon avis sur mes chaussures.

— Didier, Marine... Kelly, ma nouvelle répétitrice.

Ils commencent à s'étonner mais je m'empresse d'ajouter :

— Temporaire. C'est juste temporaire... Une drôle histoire de punition.

Je rigole en m'attendant à ce qu'ils fassent de même avant de demander des précisions, mais la façon dont ils me dévisagent me coupe net et me met mal à l'aise; une étrange sensation de gêne, voire de honte, l'impression de quémander une conversation.

— Enfin bref, à demain, je finis par souffler à Jordan avant de m'éclipser.

Le roman de Kelly Where stories live. Discover now