Parle-moi, Zach

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Mon père est assis sur l'un de nos tabourets, les traits creusés par une fatigue ancienne. Je reconnais également la maigreur caractéristique de ses joues, qui ont commencé à s'affaisser en même temps qu'il a fait connaissance avec les drogues dures. Je l'observe boire son café en silence tout en tapotant le plan de travail du bout des doigts. En presque un an que je ne l'ai pas vu, il a pris une décennie dans la figure.

Rylan a disparu dans sa chambre, tandis que Zach a préféré rester près de moi. Il est appuyé contre le frigo, les bras croisés sur son torse et l'œil attentif.

— Vous voulez autre chose à boire, monsieur Thorne ? À manger, peut-être ?

— Non, non, merci.

J'inspire bruyamment en lui jetant des éclairs de colère. Je trouve enfin le courage de prendre la parole.

— Tu sais que suivre une fille dans la rue au beau milieu de la nuit, c'est une très mauvaise idée ?

— Je te suivais pas, j'ai essayé de te parler au bar où tu travailles. Et je t'ai appelée.

— Bah voyons... et ça fait combien de temps que tu sais où je travaille ? Comment tu m'as trouvée ?

Deux simples questions, et il se masse le front comme si je venais de le frapper avec une batte.

— Je traînais autour de ta fac, et puis un jour je t'ai vue au loin, du coup je t'ai suivie. Avant ça j'ai essayé de chopper ton adresse à l'accueil, mais ils ont rien voulu me donner, ces bons à rien !

Je sers le plan de travail jusqu'à m'en faire mal aux doigts.

— T'es en colère, constate-t-il en baissant les yeux.

Je ricane. Il s'attendait à quoi, exactement ? Il part sans rien dire après le décès de ma mère, sa femme, et il se pointe un beau jour dans ma vie, l'air de rien. Purée, mais pourquoi est-il ici ?

— Un peu, ouais. T'étais où quand la banque a saisi la maison ?

Meh, on s'en fout, non ? Il y avait rien de valeur dans cette baraque.

— Si, il y avait toute ma vie !

Il hausse les épaules, ce qui a le don de me faire voir rouge. Je dois résister à l'envie viscérale de le secouer comme un pommier pour le dessoûler et lui remettre les idées en place.

— J'ai dû vendre tout ce qu'on possédait.

Il m'offre un faible sourire avant de désigner la cuisine.

— Prends pas ces airs de chien battu avec moi. T'as pas l'air de t'en sortir trop mal.

Je dépiste une légère touche de mépris dans sa voix. Je ferme brièvement les paupières pour tenter de conserver un semblant de calme. Je n'ai jamais été plus tenté qu'aujourd'hui de le prendre par le col de son pull sale et de le jeter dehors.

— Tu n'as... aucune idée de quoi tu parles.

Où était-il quand j'angoissais à l'idée de passer mes nuits sur un banc de la fac ? Où était-il quand je sautais des repas pour entretenir mes économies le plus longtemps possible ? Où était-il quand je dormais dans ma voiture, le corps secoué par des crises de larmes incontrôlées ?

— Arrête de pleurnicher, ma fille. Regarde-toi, avec tes beaux vêtements et ton bel appart. T'as un boulot et tu vas à la fac. T'as aucune putain de raison de t'inquiéter.

Je pousse un cri silencieux.

— Mais qu'est-ce que tu crois, en fait ? Que j'ai eu de la chance ? Que dalle ! J'ai dû bosser comme une malade pour en arriver là, et je n'y serais pas arriver si on ne m'avait pas tendu la main !

The hate theory [Tome 2/2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant