Bienvenue chez les Klein

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« Il faut porter en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. »

Ainsi parlait Zarathoustra (1885), Nietzsche


PARTIE 1 - LEILA


Leila s'écroula sur son lit blanc, épuisée mais contente du travail accompli. Les yeux levés vers le plafond, le corps étendu en étoile de mer, la main de la jeune femme eût le réflexe de venir étouffer son bâillement, avant de se laisser tomber mollement sur le tissu rêche en matière synthétique à l'odeur de propre. Cela faisait à peine une journée que Leila était arrivée chez les Klein. Depuis, elle n'avait pas eu une minute à elle. Elle s'était attelée au nettoyage de la demeure de fond en comble. 

Il était encore trop tôt pour préjuger de la suite. Dans tous les cas, elle espérait que tout se déroulerait sans encombre. C'était la première fois de sa vie qu'elle était confrontée à un tel défi. De nombreuses interrogations lui traversèrent l'esprit. L'une d'entre elles prit de plus en plus de place. Sera-t-elle à la hauteur de la tâche ? Sur cette question épineuse, elle s'endormit.

...

Elle cherchait du boulot depuis quelques semaines lorsqu'elle était tombée sur l'annonce suivante sur Personnes de Confiance. « Famille cherche employé(e) de maison à domicile. Rémunération 1700 euros net + avantages. Urgent. Si intéressé(e), contactez Mme Ipoh au 06.78.29.40... ». Mme Ipoh avait été réactive, elle avait répondu deux heures après qu'elle lui ait laissé un message. Elle lui avait fait passer un entretien, qu'elle avait réussi haut la main. Le lendemain, elles avaient fait le tour du propriétaire, afin que Leila se familiarise à son nouvel environnement.

Dès son arrivée le lundi suivant, la fille Klein avait eu un comportement abject. Elle lui avait balancé son linge sale à la figure lorsqu'elle avait toqué à sa porte. Elle ne cessait de se plaindre de son manque d'efficacité, de son incompétence, sans même avoir la décence de cacher ou de modérer ses propos. Elle n'avait aucune considération pour Leila. 

Lorsque Leila avait épousseté la poussière de la console, un détail avait retenu son attention. Un cadre était face retournée. Elle l'avait relevé. Il s'agissait d'une photo de la famille Klein. Les parents étaient côte à côte, souriants. Le père tenait la mère par la taille. Les deux enfants, qui paraissaient avoir dix et sept ans, étaient installés sur des fauteuils, juste devant eux. Nine arborait un air renfrogné, tandis que le visage de son frère était impassible. Tous semblaient fixer l'appareil photo en face d'eux.

...

Nine entra dans le salon, les bras chargés de sacs de shopping. Elle avait passé une sale matinée. Toutes les personnes qu'elle avait croisées au Grand Marché étaient incompétentes. Ça avait commencé lors des essayages de robes. L'imbécile qui lui avait apporté un rafraîchissement avait renversé son thé sur son sac. Elle avait ruiné son Jacquemus qui valait deux mois de son misérable salaire, bordel. Evidemment, cette conne s'était confondue en excuses, mais c'était pas ça qui allait le sauver. Nine n'allait certainement pas laisser passer. Elle lui avait hurlé d'aller chercher sa manager au plus vite. Manager qui était confuse et n'avait pas pu faire grand-chose de plus, excepté de lui proposer une ristourne sur la robe qu'elle était en train d'essayer. Quel service client merdique. L'étudiante en deuxième année d'école d'ingénieur ricana en pensant à leurs visages décomposés lorsqu'elle leur avait répondu qu'ils verraient avec son avocat et qu'elle était partie fissa. Sans payer la robe, bien entendu. Ils la lui devaient, à minima. La brune aux yeux bleus toisa Leila du haut de son mètre soixante-douze. La brindille longiligne cracha :

La lumière dans l'ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant