Chapitre 2 : Mauvaise surprise

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Je jette un coup d'œil exacerbé à Viktor. Il me met déjà au boulot ce bougre. Aucune pitié hein... Je plains ses futurs élèves s'il décide de faire carrière dans le coaching. Néanmoins, je ne perdrais pas de temps et vais décider d'emblée si je jouerais l'enseignante ou la touriste.

Nous sommes accueillis dans un endroit lumineux et aux rangées de patins bien organisées et... des triplets.

— Halte là !

— Qui amenez-vous dans le sanctuaire Monsieur Nikiforov ?

— Nous n'acceptons les fans que le jeudi soir !

Elles ont placé leurs phrases en quinconce comme une poésie. Hilarant, on se croira dans un anime japonais. Une jeune femme arrive en courant :

— Voyons les filles, je vous déjà dit que Viktor ramenait une coach pour Yuri, dit-elle en les chassant gentiment, elle s'incline devant moi. Excusez-les, elles sont très investies dans leurs rôles de sécurité rapprochée. Je vais mettre ça dans le bureau de l'accueil, si vous avez besoin de quoi que ce soit n'hésitez pas à m'appeler, moi ou mon mari.

Elle se précipite pour prendre ma valise et mon sac à dos. La pauvre, elle a l'air toute gênée. Ce n'est pourtant rien, ce ne sont que des gosses. Je suis Viktor dans les vestiaires et l'observe mettre ses patins à glace noirs aux lames dorées. Une vague de nostalgie m'envahit. Je la repousse. Même quand nous franchissons les portes battantes qui nous ouvrent sur la piste et que nous laissons l'air glacé nous envelopper, j'ignore ce petit pincement au cœur.

Une musique style flamenco très entraînante est diffusée par une enceinte. Alors voilà la future vedette, le fameux Yuuri. Je pars m'affaler sur les gradins pour juger s'il valait tant que ça le déplacement et pour contenir mon besoin de sortir de cet endroit. Les mouvements sont fluides, mais peu sûrs d'eux. De même pour les sauts.

— Première impression ? me demande Viktor en s'asseyant à mes côtés.

— Il a un gros manque d'assurance. Ses jambes sont trop lâches et laisse- moi deviner... il y a un problème dans l'expression du sujet ?

Il applaudit presque.

— Et ça ne fait pas deux minutes que tu l'as sous les yeux que tu as trouvé tous ses défauts !

Un faible sourire naît au coin de mes lèvres.

— Dans le fond je suis toujours une athlète.

— Irina t'as façonné de la meilleure des façons.

— Sans aucun doute, dis-je avec un sourire en coin. La question est : En quoi, toi, tu ne peux pas régler ça tout seul ? Ce ne sont que des petits arrangements et si tu n'es pas capable d'arranger ça alors tu démarres très mal entant que coach. Même la brochette de triplets sauraient y remédier.

— Ma petite fée, tu es vraiment impitoyable, me dit-il avec une moue boudeuse.

L'extrait de musique s'arrête. Yuuri patine jusqu'à nous, sourire aux lèvres et sueur sur le front. Il échange quelques mots avec Viktor. Ce dernier ne perd pas de temps à lui montrer comme ajuster sa position de manière aussi tactile qu'il peut l'être. Quel charmeur celui-là...

Alors que je me débat entre ma flemme de bouger et mon envie d'enfin savoir en quoi je pourrais être utile, une autre musique se met en route dans l'enceinte. Une musique complètement différente. Chantée par une chorale aiguë, elle est plus douce et délicate que la précédente. Je me sens portée par ces notes pures qui sonnent comme un matin enneigé à St Pétersbourg. Magique et innocent.

Mais mon attention se porte sur la patineuse. Ces mouvements sont gracieux et assurés. Cela semble parfaitement maîtrisé mais chez elle aussi il manque une chose essentiel : l'accord avec le thème. La musique se stoppe brusquement. Viktor, télécommande à la main, interpelle la patineuse. Oups, mes yeux se sont trompés de sexe, un patineur.

Avec ce visage angélique il faut remarq- Oh non pas lui...

Ma bouche se déforme en grimace. Je le reconnaît, c'est l'étoile montante russe de ma génération. J'ai nommé Yuri-Tête-d'Ange-Casse-Noix Plisetsky.

S'il s'est fait connaître pour son incroyable talent et son audace sur la glace dès son plus jeune âge, tous les patineurs internationaux savent que ce type est un sale gosse ambulant au mauvais caractère. Je l'ai rencontré quelques fois dans mes premières années avec Irina. Je l'ai toujours vu me regarder de haut comme c'est pas permis. Depuis, je n'ai jamais pu le sentir moi non plus. Je me renfrogne dans mon siège en plastique. Mince, il m'a repéré. Viktor le remarque et se penche à son oreille pour lui chuchoter je ne sais quoi qui vaut au visage de Plisetsky de se vêtir d'indignation. Il sort de la piste et se plante devant moi avec son air hautain.

— Hors de question que je sois baby-sitté par une loseuse comme toi.

— Ça tombe bien, je suis pas là pour tes beaux yeux prima-donna girl.

Alors qu'il s'avance menaçant, je vois Viktor se précipiter entre nous, en mur de paix.

— Yurio, je te l'ai expliqué, c'est une aide indispensable pour tes débuts dans la catégorie des seniors. N'est-ce pas ce que tu recherches ? Après tout, c'est tout de même l'élève d'Irina Petrova.

Il grommelle dans sa barbe tandis que je me redresse dans mon siège pas sûre d'avoir bien entendu.

— Viktor... C'est quoi ce plan foireux ?

Plisetsky saute sur ma phrase.

— Hein ?! Y'a rien de foireux, t'es venue pour m'aider à améliorer mes techniques, OK. Mais rentre-toi ça dans le crâne loseuse. Il me pointe du doigt. Je serais le meilleur. Pas question que tu te serves de ce que tu vois contre moi avec d'autres.

— Tu me prends pour qui là ? Non, tu te prends pour qui ? je rétorque calmement mais avec venin. Je n'aide pas les Barbie russes, elles puent la vanité.

Cette fois l'autre Yuuri intervient en renfort.

— Allons, allons, ne vous battez pas... Je propose d'en parler à froid après un bon bain chaud et le ventre plein, qu'en dîtes-vous ?

Viktor s'ajoute au désamorçage de l'échange acerbe.

— En effet, Yuuri, Yurio, j'ai payé le taxi pour qu'il nous attende. Nous serons plus rapidement à l'auberge. Nous parlerons des détails autour du dîner.

Plisetsky me jette un dernier regard furieux avant de s'éclipser dans les vestiaires. Je me tourne aussitôt vers Viktor. Mais je n'ai pas encore ouvert la bouche qu'il lève la main pour barrer ma protestation.

— Nous en parlerons autour du dîner.

C'est à mon tour de jeter un regard mécontent, mais d'un côté, je suis assez soulagée de pouvoir aller me reposer et manger un bon repas chaud alors je n'insiste pas.

Tout le long du trajet, Viktor déblatère sur « pourquoi je devrais donner sa chance à Yuri-Tête-à-Claques ». Je n'écoute que d'une oreille et rumine dans mon coin. Je me suis fait avoir comme un lapin de six semaines, ça me plaît moyen.

Le monde du patinage artistique est un monde strict et humble. Rien n'est jamais acquis, il faut toujours revoir les bases, même après des années de pratique. Simplement parce qu'à vingt ans, on a pas la perception des mouvements qu'on avait à sept ans. C'est comme une courbe mathématique en croissance, tout doit être réapproprié, revisité, pour une glisse optimale. Paradoxalement, c'est un art. Ce qui signifie, de la souplesse, grâce, self-care constant et discipline. J'ai toujours pensé qu'il fallait avoir une âme d'artiste pour bien patiner. Savoir vibrer avec la musique et l'intégrer dans ses mouvements. Mais surtout faire vibrer le public. Les compétiteurs ne patinent plus pour eux dès le moment où ils entrent en piste.

En gros, Plisetsky n'a que le moitié de ce qu'il faut pour faire partir des grands. Et pour l'instant il peut se gratter pour que je lui vienne en aide. 

Freeze(d) [Yuri Plisetsky x OC]Where stories live. Discover now