Chapitre XII - Coeur brisé

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Durant ces deux semaines de vacances de Noël, Alia n'avait pas revu sa professeure dans le bar où elle travaillait mais cela ne l'étonnait guère de Milla.

Pourtant, elle aurait aimé la rassurer et lui rappeler qu'elle ne la jugeait absolument pas, qu'elle n'avait pas été mal à l'aise et qu'elle avait au contraire, passé une bonne soirée. Elle connaissait suffisamment son enseignante pourvue d'une morale dont elle n'avait jamais connu une semblable, pour imaginer dans quels tourments elle se prenait en repensant à cette soirée. Néanmoins elle ignorait en réalité la véritable cause des préoccupations de Milla.

La jeune fille était alors étonnamment ravie de retourner au lycée ce lundi matin, en espérant pouvoir parler à sa professeure à la fin du cours. Elle voyait Mme Santini pour son deuxième cours de la journée.

Alia était arrivée à l'heure, et même quelque peu en avance et attendait devant la salle 114 avec Lucie qui lui racontait comment s'étaient déroulées ses vacances.

Quand la porte s'ouvrit, Alia, déjà préoccupée et peu attentive auparavant, n'écoutait plus un mot sortant de la bouche de la pauvre Lucie. Immédiatement, l'élégance infaillible de son enseignante lui frappa aux yeux : elle portait un tailleur vert sapin, de hauts escarpins noirs et des lunettes noires. C'était la première fois que l'enseignante portait des lunettes, et Alia n'aurait pu dire qu'elles ne lui allaient pas.

Les premiers élèves entraient et la professeure les accueillait chaleureusement. Quand se fut au tour d'Alia d'entrer, elle eut droit au même accueil que les autres, ni plus ni moins. Elle en était presque déçue mais se ravisa, après tout à quoi s'attendait-elle ? Milla n'allait sûrement pas lui faire une bise ici.

Lorsque tous les élèves furent installés, l'enseignante sortit un pile de feuilles sur son bureau.

- J'ai un cadeau de Noël pour vous, avec un peu de retard certes... lança-t-elle, vos copies corrigées ! finit elle après un court silence alors que certains élèves soufflaient déjà en appréhendant leur note. Enfin, pas sûre que ce soit un cadeau pour tout le monde... les charriait elle gentiment.

Les réactions furent mitigées, certains s'attendaient à plus, d'autres à moins. Quant à elle, Alia relisait dans sa tête le commentaire de sa copie pour la dixième fois : « Excellent travail avec une réflexion plus que pertinente. L'on pourrait douter de votre âge mademoiselle Garnier ». C'était bien la première fois que l'appréciation d'un professeur la touchait autant, pour son contenu mais aussi sûrement pour son auteur. Néanmoins, elle l'ignorait mais ceci, Mme Santini l'avait rédigé juste avant leur soirée au bar, sinon elle aurait certainement été bien plus concise. Ce commentaire avait définitivement persuadé la jeune fille de rester à la fin du cours.

Les explications philosophiques de l'enseignante défilaient et Alia était plutôt attentive même si elle était davantage préoccupée par ce qu'elle envisageait de dire à sa professeur à la fin de ces 2h.

En plein milieu de la lecture d'un texte de Descartes, la sonnerie retentit et sauva les élèves de sa vision méthodique et mathématicienne de la vérité. La jeune brune rangeait tranquillement ses affaires afin de laisser le temps aux autres élèves de quitter la salle.

Une fois seule, elle s'approcha du bureau de l'enseignante qui était assise sur sa chaise juste derrière celui-ci.

- Humm, fit elle pour attirer l'attention de sa professeur fixée sur l'ordinateur, je voulais vous, enfin te dire pour la dernière fois au bar... continua-t-elle une fois que Milla avait tourné son regard vers elle.

- Oh, eh bien je vous arrête, la coupa-t-elle brusquement, je préfèrerais que l'on oublie cette soirée, et je voudrais également que l'on reprenne le vouvoiement afin de retrouver une certaine constance... finit elle avec un air sérieux.

- Euh, d'accord très bien, ne put dire davantage la jeune fille.

Aussitôt, Alia qui avait une boule dans la gorge et qui ressentait comme une centaine de fissures en son coeur, s'empressa vers la porte et sortit au plus vite de la salle 114. Alors qu'elle marchait à toute vitesse dans les couloirs, comme pour fuir à la scène qui avait précédé, la jeune fille sentit ses yeux s'emplir de larmes.

Alors, elle se réfugia dans les toilettes et se ressaisit, empêchant ces larmes de couler. Mais pourquoi ça te fait si mal ? C'est qu'une fuckin* prof qui te voit juste comme une élève banale, à quoi tu t'attendais ? se fâchait la voix solitaire dans la tête d'Alia. Et c'est quoi ces sensations ? Comme si je n'avais pas l'habitude qu'on m'abandonne... Je suis qu'une idiote ! se flagellait elle. La tristesse laissait place à la déception et à la colère envers elle même puisqu'elle se jugeait trop naïve, et envers Milla qui l'avait humiliée.

Elle arriva alors au cours suivant en retard et avec plus aucune joie d'être dans ce lycée. Lucie, assise à côté d'elle, remarqua évidemment ce brusque changement de comportement.

- Qu'est qu'il se passe ? Tu t'es fâchée avec Santini à cause de ta dissert ? chuchotait elle, en ignorant la note très satisfaisante qu'Alia avait reçue et en se trompant au sujet du véritable problème.

- Ne me parle plus de Santini, je peux plus me la voir, répondit la brune sèchement.

Lucie n'insista pas et fut chagrinée de constater qu'Alia avait conservé sa mauvaise humeur toute la journée malgré ses nombreuses tentatives pour lui redonner le sourire.

Quand la jeune fille énervée rentra chez elle sous la pluie battante, elle croisa sa mère dans la cuisine et se prépara un café.

- Oulah, tu m'as l'air bien énervée ma chérie ? s'inquiéta sa mère.

- Mauvaise journée, lâcha-t-elle froidement.

- Qui d'autre que moi peut te mettre dans cette état ? faisait elle preuve d'autodérision afin de détendre sa fille. Un chagrin d'amour ? Le coeur brisé ?

Alia souffla d'abord cette remarque, puis se remémora les sensations qui l'avait traversées dans la matinée.

- C'est quoi avoir le coeur brisé ? demanda la jeune fille maladroitement. Enfin, je veux dire on ressent quoi ?

- Eh bien, c'est très simple, l'expression parle d'elle même, expliqua la mère calmement, on croirait vraiment que ton coeur se casse en mille morceaux, c'est très fort comme sensation. Mais ça n'arrive qu'aux très grands amoureux ! ajouta-t-elle.

- Quoi ?! faillit s'étouffer la jeune fille avec son café. Mais non, c'est impossible ! réfléchissait elle à haute voix.

- Oh ma chérie, je suis désolée pour toi... ne t'inquiète pas ça finit par passer avec le temps... voulu-t-elle la consoler en s'approchant d'elle pour lui offrir une étreinte.

- Mais non, je ne peux pas être amoureuse d'elle ! continua la jeune fille avec un ton stupéfait.

- Ah donc c'est une fille ? Tu sais il n'y aucun mal à ça, tu as le droit d'être amoureuse de n'importe quelle personne peu importe son genre ! rétorqua la mère.

Alia voulu répondre que le problème n'était pas son genre mais plutôt sa profession, son statut vis à vis d'elle, mais choisit de s'abstenir et de laisser penser ces suppositions à sa mère. Elle n'ajouta rien de plus, et après un rapide remerciement à sa mère qui l'avait tout de même aidée à y voir plus claire, elle rejoignit sa chambre.

Elle s'affala dans son lit et laissa aller ses tourments. Donc c'est ça, je suis si heureuse dès que Milla porte son attention sur moi mais si triste quand elle met des barrières entre nous, parce que je suis amoureuse d'elle ? Je n'ai jamais ressenti quelconque amour ou même attirance pour qui que ce soit, et il a fallu que ça tombe sur Milla ? Et je suis vraiment en train de penser à elle avec son prénom ? ne cessaient de s'intercaler les questions rhétoriques dans l'esprit de la jeune fille. Mais je dois oublier ça, elle n'aimera jamais une gamine comme moi ! y mit elle un terme. Et puis sans même parler d'amour, elle m'a abandonnée, et jamais je n'accepterai l'abandon de quiconque, se résignait elle.

Alia fut bouleversée pour la soirée de cette révélation, comme si l'on lui avait donné un scoop improbable sur un de ses amis, mais pourtant il s'agissait bien d'elle. Elle décida de refouler tous ces sentiments, et sans trop de peine, puisque la colère se chargeait amplement de cela. Désormais, Milla redevenait Santini, et Santini ne serait que sa prof de philo et rien de plus. Elle ne voulait définitivement plus entendre parler d'elle en dehors des cours de philo. Elle finit par s'endormir, laissant son cerveau et son coeur se reposer et se remettre de cette journée.

Plus que ma moraleWhere stories live. Discover now