[32] Bar, videur et grillage 2/2

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[ Taima ]

Je joue des coudes et de mon maigre corps pour me faufiler jusqu'à l'entrée entre les gens qui font la queue le long de la ruelle éclairée de quelques néons.

― Poussez-vous. Pardon. Poussez-vous...

Un ado, un peu trop excité à l'idée d'aller à sa première soirée, recule, faillant me bousculer. Avec un claquement de langue, je le repousse d'une main pour qu'il retourne à sa place dans la file. Quelques objections s'élèvent et des regards mécontents se posent sur moi. Une œillade à la fois noire et ennuyée suffit à faire taire les contestations et à faire se détourner les yeux. Ma botte tape la marche qui mène à l'accueil. Un bras me barre le passage, une main me repousse en arrière. Dans l'obscurité rougie par le néon du Third Side Club, je recule de plusieurs pas en arrière.

― Quoi ? demandé-je en braquant mon regard sur le videur.
― Faut payer pour entrer.

Mon regard d'ébène l'analyse rapidement de bas en haut : une haute stature, des épaules plutôt carrées, une cicatrice à l'arcade qui coupe son sourcil en deux... Ah oui, j'ai entendu parler du nouveau videur : Tev, ou un truc du genre. C'est qu'un gosse qui se prend pour The Rock... mais il a été conseillé à Lex. Or, y a pas trente-six-mille personnes qui conseillent des videurs à Lex.

J'expulse un fort soupir, vrille mon regard dans le sien, lui présente mon majeur afin qu'il voit le poinçon en forme de triangle rouge qu'Erika à tamponné sur le dos de ma main tout à l'heure.

― C'est bon pour toi comme ça ? À moins que tu veuilles aller discuter avec le patron ? Ou peut-être que tu préfères un aller simple pour Cuba ?

Son visage perdant en un éclair ses couleurs me signale qu'il a compris mon sous-entendu.

― C'est bien c'que j'pensais... marmonné-je en traversant la porte.

Ce n'était pas la bonne soirée pour m'emmerder. Une fois de plus, je dépasse tout le monde en longeant le mur de pierres froides.

― Salut Erika, arrivé-je en tapant du plat de la main sur le bois de l'accueil.
― Re-salut Taima, répond le brunette en tendant sa monnaie à un client qui s'en va sans demander son reste.
― Tu peux me rendre ma veste s'te-plaît ?
― Ouais, bien sûr.

Erika se tourne pour trouver immédiatement mon sweat oversized bleu électrique.

― Ça va ? s'inquiète-t-elle en me tendant mon vêtement par-dessus le comptoir.
― Rien que je ne puisse gérer. Je suis juste pas contente, je rentre, j'ai déjà envoyé un message aux filles, affirmé-je en enfilant à la va-vite mon habit par-dessus ma robe et mon sac en bandoulière. Allez, salut ! terminé-je en partant.

Les épaules de mon sweat glissent le long de mes bras lorsque je marche dans les rues de Toronto. Le froid ne me dérange pas, au contraire. La colère, contre Alejandro qui ne comprend pas et se contente de juger, contre moi-même pour avoir démarré au quart de tour sans réelle raison valable, contre la Terre entière pour ne pas être comme moi et contre la vie en général parce que j'ai dû être une sacrée enflure dans ma vie antérieure, ne s'adoucit pas. Un peu de fraîcheur ne fera donc pas de mal à mon cerveau et à mon corps en ébullition.

J'enfonce mes écouteurs dans mes oreilles ― l'une des bases de la survie moderne ― et mets le volume pour faire taire le monde autour de moi. Il n'y a que les talons de mes bottes à lacets que j'entends encore résonner sourdement. Je marche vite, l'activité aidant à évacuer la tension et la frustration qui ont pris possession de mon corps. Avant même que je m'en rende compte, occupée à essayer de penser à autre chose, mes pieds m'ont ramenée devant la grille qui débouche sur le repaire des geeks. Je soupire pour la énième fois depuis une demi-heure et m'adosse près du portail. Le grillage grince de réprobation. Son métal est froid à travers mon sweat et quelques gouttes de condensation tombent sur moi, imbibant le tissu et mes cheveux ou coulant dans ma nuque et sur mes doigts. Je soupire en fermant les yeux sur la rue peu accueillante qui m'entoure. C'est fou ce qu'elle reflète bien mon état d'esprit : désœuvrée, larmoyante et peu avenante.

TRINITY - Tome 1 : Les humains viennent des étoiles. Et nous ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant