VII

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Son dos craqua si fort contre le mur qu'il crut que ses os se brisaient.

— D'où tu sors ?

Un sifflement perça l'air, une lame froide s'enfonça dans son cou.

— Réponds !

— Altesse, un imprévu.

La porte s'ouvrit sur l'homme aux lumières, enveloppé d'habits blancs et raides. Visage tiré, il dévisagea Blondin au sol, avant de se précipiter aux côtés du monstre qui le maintenait bloqué.

Son nez droit se retroussa.

— De troisième strate, hm. Comment es-tu arrivé ici ?

Le regard dur avait perdu ses reflets verts. Ses yeux étaient aussi bleus que le ciel, ses cheveux raides aussi blancs que les nuages, ses oreilles aussi pointues que des dagues.

L'armure appuya un peu plus sa lame. Blondin, figé, sentit une goutte chaude rouler sur sa peau.

— Comment es-tu arrivé ici ? demanda de nouveau l'homme avec calme.

Blondin connaissait cette attitude. Il l'avait trop vue En-Bas. Sitôt qu'il lui aurait dit ce qu'il voulait, il le tuerait sans un au revoir.

— Je peux vous aider à... vous éloigner d'ici.

L'homme releva un sourcil blanc. Blondin crut l'avoir intéressé, mais le regard face à lui se fit glacial.

— Il nous a entendus, articula l'homme. Sûrement nous a-t-il aussi vus. Je ne veux pas de sang, An-Chenlei, ajouta-t-il en se relevant du sol.

— Altesse.

L'armure recula sa lame, pour mieux entourer la gorge de Blondin d'une main de fer.

Le souffle lui manqua.

— A-Attendez...

— Vous glisserez à Walkaerys de renforcer les contrôles, murmurait l'homme à la deuxième armure, sans plus un regard pour lui.

— Ecoutez... moi...

Un hoquet lui déchira la gorge. Tout son ventre cherchait de l'air, sa bouche se tordait, cherchait à respirer et à parler en même temps.

— Utopie, souffla Blondin.

L'homme n'était plus qu'une tâche blanche dans la nuit.

— Je vous... offre... Utopie.

La tâche blanche s'évanouit. Les râles, le froid, le chaud, la douleur au ventre, tout se fondit dans un noir libérateur.

Jusqu'à ce qu'une inspiration le tire du néant.

Blondin crachota. Son buste se gonfla entier, ses épaules se soulevèrent du mur. L'air le brûla, des larmes lui montèrent aux yeux. Les formes et les couleurs peuplèrent de nouveau le paysage.

Un visage sévère était penché sur le sien. 

Autour de l'homme aux cheveux blancs, les deux armures avaient l'air d'attendre. L'étranger restait silencieux de longues, froides secondes, durant lesquelles Blondin ne put calmer son cœur. L'odeur semblait l'incommoder, mais ne l'empêchait pas de dévisager chaque muscle de son faciès, chaque recoin de son regard.

Enfin, au bout d'une éternité, les yeux bleus se plantèrent plus profondément encore dans les siens. Blondin sentit sa précieuse respiration se couper.

— Tu ne manques pas d'audace, siffla doucement l'homme. Tu ne manques pas non plus d'imagination, dirait-on. Eh bien soit. Ce sera ta vie contre Utopie, jeune visiteur.

Les armures se reculèrent. L'homme se releva, s'éloigna d'un pas fier vers la porte.

— An-Chenlei, vous restez ici. Si Walkaerys est de passage, votre binôme s'est porté mal.

— Altesse.

— Soliamedus, trouvez de quoi l'habiller et rejoignez-moi en bas.

Un monstre de métal s'inclina au passage de l'homme. Puis les cheveux blancs se tournèrent vers Blondin.

— Suis-moi.

Ce regard de glace n'aurait donné à personne l'envie de désobéir. Malgré tout, Blondin hésita. Il ne savait pas dans quoi il s'enfonçait, ni s'il y avait une alternative.

Finalement, il se releva de son mieux, chancela jusqu'à l'homme. Celui-ci quittait déjà la pièce.

— Au moindre bruit, notre accord est rompu.

Dans le noir, l'homme souleva juste assez sa manche pour que la lumière de la lune tangue sur une lame. Blondin déglutit. Cet adulte avait soufflé chacun de ses mots, comme s'il voulait tout à la fois que sa voix disparaisse, et qu'elle s'enfonce dans son esprit. Son cœur se serrait, il le suivit, le pas fébrile, sans pouvoir jeter un dernier regard au nourrisson endormi. La porte de la chambre s'était refermée.

Si près, il avait été si près de réussir. Mais, au fond, il voulait se dire que rien n'était perdu, au contraire. Il s'était prouvé que c'était possible.

L'homme ne prononça plus un mot. Le pas calme et léger, il avança le long de ce qui semblait être un rempart intérieur, bordé d'une fine barrière. Chaque bruissement de ses vêtements s'entendait loin dans le noir, dans des échos qui respiraient la chaleur et le confort.

Blondin leva les yeux sur cette obscurité à gauche, à droite. Les débuts de hautes arcades blanches s'étiraient parfois hors de l'ombre. Une rambarde scintillait ici, un mur luisait là. Des vagues effilées couraient jusqu'au plafond invisible, son reflet sur le sol était plus clair que sur les fenêtres.

Un escalier sombre suivit le rempart. Blondin se serra contre la rampe de pierre, mais manqua plusieurs fois de tomber dans les marches. Il sentait, devant, la haute silhouette tourner vers lui un regard menaçant. L'obscurité aidait, l'homme faisait moins peur avec cette allure sombre, qu'il avait bien plus l'habitude de croiser En-Bas.

Après de nombreuses marches à étouffer les gargouillements de son ventre, Blondin vit enfin l'homme s'arrêter.

Le noir était presque total, le froid mordant. Blondin s'en rendit compte au moment où l'homme ouvrit des portes plus grandes et larges que lui, d'où jaillirent lumière pourpre et chaleur.

Porté par l'air comme un ballon de toile, Blondin avança sur les dalles, sans même penser à vérifier l'homme et son arme. Un claquement sourd derrière lui fit trembler la grande flaque d'eau au centre de la pièce.

Les MiraculésWhere stories live. Discover now