III

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— L'Angevert est une déesse. La huitième de la grande Ère de la Parole.

Blondin écoutait la capuche comme jamais il n'avait écouté une capuche.

— Elle est née il y a quelques semaines, continua l'homme, avec ces moulinets de mains que faisaient ceux d'En-Haut. Grâce à elle, notre royaume entre dans une nouvelle Ère, riche de bienfaits.

— Où est-ce qu'elle vit ?

La capuche se fendit d'un petit rire. Au loin, ses confrères en robe — ceux qui se faisaient appeler « Serviteurs » — tournèrent à peine le regard, en pleine discussion avec des mendiants et une famille.

— La place de l'Angevert est entre les murs de ses Divins Ancêtres, expliqua-t-il d'un ton trop bienveillant. A l'Intemporel.

— Où est l'Intemporel ?

— Sur Utopie, mon petit.

Utopie. Blondin cessa pour la première fois de poser des questions. L'île d'Utopie n'était pas  simple à rejoindre. Elle ne volait pas loin de l'En-Bas, et une énorme chaîne la retenait aux remparts, pompeuse comme un chemin tout tracé. Mais les vents violents qui soufflaient entre les deux îles rendaient tout trajet risqué, surtout si, comme lui, on ne s'était jamais servi de ses ailes que pour se débattre ou s'amuser. 

Mais il voyait des solutions. Ce n'était pas impossible.

— A quoi ressemble l'Angevert ?

L'homme semblait vraiment s'amuser de son sérieux. Lui, ça ne le faisait pas du tout rire.

— Je suis ravi de te voir si intéressé, mon petit, dit-il un sourire au coin des lèvres. Malheureusement, peu de gens le savent. A l'occasion, je pourrais demander à un châtelain...

— C'est quoi un shatelin ?

— Quelqu'un qui travaille au château, minauda-t-il encore.

Blondin avait vaguement entendu parler d'un château en haut, tout En-Haut. Cette capuche et son sourire lui parlaient d'une partie du royaume qu'il ne verrait jamais. Mais derrière ses privilèges, l'homme était idiot, donc prévisible. Blondin lui plaisait dans son rôle de curieux misérable, et il ne se gêna pas pour y rester.

— Ceux du château ont déjà vu l'Angevert ?

— Bien sûr, puisqu'elle y est née.

Changement d'attitude. Blondin le repéra immédiatement. Le regard de l'homme avait fui vers les autres en capuche, ses lèvres s'affaissaient.

Il avait trouvé un filon intéressant, même s'il ne savait pas encore pourquoi.

— Ses parents vivent au château ? continua-t-il d'un sérieux impénétrable.

— Heu, hé bien... Oui.

— Elle est née il y a quelques semaines, elle est encore avec eux ?

La capuche perdait définitivement son sourire. Mais l'homme ne semblait pas regretter de lui fournir ces informations, il avait plutôt l'air gêné. Comme si l'idée que l'Angevert puisse être au château lui déplaisait. Blondin s'en contrefichait. Il avait bien fait de creuser, maintenant, il était sûr de sa destination.

Il aurait mille fois préféré que ce soit Utopie.

— Excuse-moi, mon petit, glissa le Serviteur en se redressant. Il se fait tard, nous allons devoir nous retirer. J'espère que nous nous reverrons, ajouta-t-il avec un gentil sourire.

Blondin ne perdit pas son temps en politesses. Ce genre de choses ne concernait que certaines personnes : celles qui avaient comme seule préoccupation de se faire bien voir des autres. La capuche s'éloigna avec ses confrères, dans une démarche pleine de tissu. Sitôt éloignés, ils n'avaient plus eu un seul regard pour Blondin, les mendiants, la famille.

Le château. Blondin ne pensait plus qu'à lui. Où était-il ? Comment y parvenait-on ? Il avait une fois penché sa tête au-delà des remparts du royaume, et levé les yeux vers son lointain, très lointain sommet. Il n'était pas parvenu à le voir.

L'En-Haut, pour ceux d'En-Bas, ça n'avait toujours été qu'une légende inatteignable.

Les enfants de la famille tendaient leurs mains vers celles des adultes. Blondin détourna le regard.

Il partit dans le dédale de la strate. Le voyage promettait d'être long, Chauvette ne devait manquer de rien en son absence. Concentré, il oublia les remparts, les capuches, les châteaux, pour arpenter les marchés, glaner ici une pomme, ici une poignée de graines, ici un morceau d'assiette. Le foulard enroulé autour de sa tête ne trompait personne sur ses intentions de chaparder, mais au moins, personne ne viendrait lui chercher des noises quand il l'aurait retiré. Il avait tenté à visage découvert, avant, mais la couleur de ses cheveux le rendait trop reconnaissable dans une strate de brun et de noir.

Quand il retrouva Chauvette, ses poches étaient pleines. Et, malgré lui, il avait réfléchi à son château.

— Si tu fais pas la gourmande, il devrait y en avoir pour une semaine, murmura-t-il très bas, en posant délicatement les denrées sur l'édredon.

Il ne manquerait plus que les habitants de la rue viennent les piller avant son départ. Mi-clos, les yeux ridés de sa sœur suivirent en silence chaque objet sombre qu'il sortait de ses poches. Les graines glissaient entre les doigts de Blondin dans un tintement de sable quand Chauvette souffla :

— Peut-être que tu reviendras pas.

— Dis pas de bêtises, marmonna-t-il, gorge nouée.

— J'ai écouté des capuches, tout à l'heure.

— Quoi ? Mais je t'avais dit de pas le faire !

Sa sœur fuit son regard. Blondin n'était pas en colère, il était inquiet. Chauvette allait être seule. Peut-être se mettrait-elle en danger à trop se montrer.

— J'étais loin, fit-elle d'une voix grinçante. Mais, tu sais, ils ont parlé de l'Angevert. Ils ont dit que c'était la personne la plus précieuse du royaume. Ils ont même dit que l'armée toute entière existait pour elle.

Doux-doux se serra contre sa robe déchirée.

— C'est dangereux, articula-t-elle.

— C'est qu'un bébé, je peux y arriver.

— Elle est très puissante.

— Mais si des gens peuvent la voir, pourquoi est-ce qu'elle viendrait pas nous visiter aussi ?

Chauvette baissa la tête. Elle devait savoir qu'il avait raison.

— Je ramènerai l'Angevert ici, affirma-t-il. Prête-moi ta force.

Frère et sœur glissèrent sur la couverture. Blondin entoura le petit corps de ses bras, le comprima contre lui comme jamais il ne l'avait fait. Chauvette enfonça son visage ridé sous son menton.

Aucun des deux ne voulait rompre l'étreinte.

— A plus tard.

Blondin l'avait dit en desserrant à peine les doigts. Mais il s'était figé, incapable de s'éloigner davantage. Ce fut Chauvette qui lui donna le courage qui lui manquait. Peut-être rassembla-t-elle tout ce qu'elle avait d'énergie pour reculer.

Ce sourire, il fut si lumineux qu'il éclaira le noir.

— A plus tard, chanta-t-elle.

Les MiraculésWhere stories live. Discover now