𝟧. 𝘢𝘱𝘱𝘳𝘰𝘤𝘩𝘦𝘴 𝘧𝘳𝘪𝘭𝘦𝘶𝘴𝘦𝘴

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❛ 𝘴𝘰𝘮𝘦𝘵𝘪𝘮𝘦𝘴 𝘺𝘰𝘶 𝑠𝑎𝑦
𝘢𝘯𝘥 𝑑𝑜 𝘵𝘩𝘪𝘯𝘨𝘴
𝘵𝘩𝘢𝘵 𝘺𝘰𝘶 𝘤𝘢𝘯'𝘵
𝑓𝑜𝑟𝑔𝑖𝑣𝑒 𝘺𝘰𝘶𝘳𝘴𝘦𝘭𝘧 𝘧𝘰𝘳, ❜

𝐌𝐞𝐥𝐢𝐧𝐚 𝐌𝐚𝐫𝐜𝐡𝐞𝐭𝐭𝐚

Trois cuillères dans une main, trois paires de baguettes en bois dans l'autre, Taehyung finissait de mettre la table comme sa mère le lui avait demandé, disposant la vaisselle familiale sur la nappe blanche à fines rayures bleues, chaque assiette ...

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Trois cuillères dans une main, trois paires de baguettes en bois dans l'autre, Taehyung finissait de mettre la table comme sa mère le lui avait demandé, disposant la vaisselle familiale sur la nappe blanche à fines rayures bleues, chaque assiette à bonne distance les unes des autres. Son esprit, lui, vadrouillait totalement ailleurs, revenant sans arrêt à son père qui lisait son journal dans la pièce d'à côté, si proche et à la fois si loin, à Rachel dans son joli café, Jamie et Jungkook qui se trouvaient il ne savait trop où, monsieur Clarke probablement chez lui quelques rues plus loin. Sa mère lui avait déposé les couverts dans les mains, puis avait rejoint la cuisine de son pas léger mais toujours déterminé, ce pas qui lui donnait l'air de posséder chaque pièce qu'elle traversait, ses cheveux caressant le col de son chemisier dans un mouvement de balancier aérien. Elle avait ajouté ici et là quelques épices de dernière minute, une feuille d'herbe aromatique en guise de décoration discrète, s'assurant que tout était en ordre, les plats prêts et chauds et les plans de travail propres ; elle avait cette manie de ranger au fur et à mesure, manie qui avait un peu déteint sur lui. Satisfaite, elle avait finalement dénoué son tablier et l'avait suspendu à sa place, sur le crochet métallique qui rebiquait derrière la porte. Une odeur délicieuse flottait dans l'air, une odeur de kimchi parfaitement cuisiné et assaisonné qui n'avait pas fait frémir les narines de Taehyung depuis des années. Une odeur qu'il n'avait lui-même jamais réussi à reproduire dans sa cuisine à Los Angeles, son premier essai s'était soldé par un échec et il avait rapidement abandonné, se contentant de faire bouillir de l'eau ou de réchauffer des plats surgelés. Entre le manque de temps et le manque de talent, sa cuisine dernier cri n'avait jamais réellement servi, demeurant immaculée, sans la moindre trace de calcaire ou d'usure, aussi intacte que sur la photo en papier glacé du magazine du fabricant. Il avait hérité de beaucoup de choses de sa mère, mais certainement pas de son talent culinaire. La fabuleuse cuisine de sa mère. Son estomac était totalement réveillé à présent, désireux de se faire entendre, désireux de goûter à nouveau aux saveurs d'un pays qu'il n'avait jamais connu, vu ou visité, qui n'avait jamais réellement été le sien. Qui n'avait même jamais été celui de ses parents.

Sa mère avait appris la cuisine de sa mère lorsqu'elle était petite fille, qui l'avait elle-même appris de la sienne, et ainsi de suite, remontant le long des branches éparses de leur arbre généalogique. La cuisine était l'un des piliers importants, sinon fondamentaux, dans leur famille, les femmes Kim se passaient, se confiaient farouchement les recettes depuis des générations, et ce même après leur départ de Corée dans les années 1960. C'était important de continuer à préparer ces plats, pour soi-même, pour les autres, de les transmettre, de ne pas les oublier. Taehyung savait que c'était important pour sa mère, que ça l'avait été pour sa grand-mère paternelle. Cette dernière avait d'ailleurs toujours été plus virulente à ce sujet, puisqu'il n'avait pas de sœur, elle réclamait à ce qu'il s'implique à son tour, qu'il soit curieux, qu'il s'intéresse et qu'il participe à l'entretien de leur patrimoine, de leur culture, qu'il la fasse perdurer à son tour. Et surtout, qu'il n'oublie pas que même s'il était né aux Etats-Unis, même s'il baignait dans des eaux occidentales, ses racines venaient de bien plus loin et qu'elles faisaient partie de lui tout autant que le reste, qu'elles demeuraient importantes. Mais même en y mettant la meilleure volonté, il ne s'était pas révélé adroit derrière les fourneaux, tout comme il n'était pas très doué pour apprendre et assimiler la langue de ses ancêtres, juste assez pour reconnaître ou comprendre quelques mots, ce qui avait profondément déçu et affligé sa grand-mère. Juste une déception de plus, une raison supplémentaire pour elle de l'aimer encore un peu moins. Soit il faisait cuire un peu trop, un peu trop fort, soit ce n'était juste pas bon, les saveurs mal travaillées, mal équilibrées, trop prononcées, trop fades. Ses longs doigts étaient plus habiles pour taper sur un clavier d'ordinateur et plus doués pour inventer et démêler des histoires que pour couper des légumes ou faire revenir de la viande dans une poêle en suivant une recette, les mots d'un autre, à la lettre. Il savait faire cuire des nouilles, c'était déjà une petite victoire pour lui, ça l'avait sauvé plus d'une fois. Sans grand espoir, mais avec l'ombre d'un sourire sur les lèvres, il se dit que son retour pourrait être l'occasion de refaire un essai, de traîner un peu plus dans la cuisine, de regarder sa mère faire et d'apprendre, peut-être avec un peu moins d'a priori et d'appréhension. Avec l'envie de partager ça avec elle. Si elle le laissait faire.

𝓈𝓌𝑒𝒶𝓉, 𝓉𝑒𝒶𝓇𝓈 𝑜𝓇 𝓉𝒽𝑒 𝓈𝑒𝒶, Où les histoires vivent. Découvrez maintenant