Le refuge des sensitifs

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Dans cette retraite, loin de tout ce que nous connaissions, nous ne nous sommes jamais sentis seuls

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Dans cette retraite, loin de tout ce que nous connaissions, nous ne nous sommes jamais sentis seuls. Le monde et son devenir étaient notre préoccupation principale. D'ailleurs, seuls, nous ne l'étions pas. Le manoir n'était que le portail d'un lieu caché lui aussi du reste des hommes : Un village fantôme pourrait-on dire. Mais, il n'avait rien de « fantÔme », malgré ses hameaux vidés de leurs habitants et laissés à l'abandon des siècles durant. Cet endroit-là ne respirait pas l'abandon. Il avait seulement été figé dans le temps. Les murs délabrés avaient fini par accueillir les racines d'arbres prêts à se contorsionner pour réinvestir leur sol. Les toits s'étaient recouverts de mousse et le temps l'avait plongé dans l'oubli.

Ce village était devenu un refuge pour quelques incompatibles qui avaient choisi de quitter la cité, parfois de leur plein gré, parfois pour se sauver. Tout un petit peuple vivait ici.

Je me souviens dans mon enfance avoir entendu parler de personnes qui posaient problème au regard des gens. On les appelait "les sensitifs". On racontait qu'ils n'étaient pas adaptés à la société et qu'ils n'étaient pas adaptables. Ils ne pouvaient pas être considérés comme des brouillards bien comme il faut. Les enfants déclarés "sensitifs" ne devaient pas être mélangés aux enfants dits "normaux" car ils risquaient de déranger le processus d'apprentissage théorique si cher à la grande "Institution Brouillarde".

Vu l'ampleur de la problématique, on décida en haut lieu que les petits « sensitifs » seraient contraints à se plier aux obligations éducatives ou... "écartés". Je comprends aujourd'hui que je fus certainement de ces enfants-là mais n'étant pas repérable, je fus épargnée. Je pense que DEB' et HAZE eurent aussi à subir cette injustice, à des degrés différents. Je m'aperçus en découvrant ce village perdu et en rencontrant toutes ces personnes que le phénomène "sensitif" ne touchait pas que quelques cas isolés. Nous étions finalement très nombreux.

Le plus détestable, était que l'on classait les personnes par catégorie, plus ou moins acceptables, selon le niveau « d'anormalité » décelé.

Pour être un parfait Brouillard, il fallait adopter tous les codes qui assuraient le bon fonctionnement des institutions, et ne surtout pas chercher à changer ou contester ce qui avait été mis en place. Le système était forcément le plus opérationnel et le plus adapté. Il n'y avait aucun doute là-dessus. C'était prouvé, archi prouvé et validé par ceux qui l'avaient prouvé.

Durant cette période, mon esprit entra dans un processus de soif de comprendre.

Il me vint une question dont je n'ai toujours pas trouvé de réponses : Comment s'appelait le peuple avant la venue du brouillard ? Du moins, avant qu'il ne recouvre tout ? Il y a bien un temps où les choses étaient différentes. Je crois que les mots et les noms ont un sens et orientent notre perception des autres et des choses dans tout ce que l'on vit. Bulle était-il vraiment mon nom ? Ou celui qui influença mon chemin ? Finalement, quelle importance aujourd'hui puisque la bulle fait partie de mon identité et qu'il en est ainsi. Je refusais que l'on me catégorise. Je n'étais pas une personne dite « sensitive ». J'avais juste opté pour un mode de fonctionnement différent.

la BulleWhere stories live. Discover now