La bulle

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La bulle

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La bulle

La bulle est ma maison mais cela n'a pas toujours été le cas.

J'étais toute petite quand elle m'a enveloppée. C'était, je me souviens, à l'époque du grand chêne. J'aimais bien jouer au pied de ses grosses racines. J'y avais installé tout un village, fait de branchages et feuilles mortes ; des morceaux d'écorces faisaient office de mobiliers et des tranches de mousse bordaient mes personnages la nuit tombée. Je jouais avec des glands, toute une famille de glands. Je leur avais dessiné à chacun un visage. Les racines du vieux chêne étaient devenues le nid d'un monde qui ne ressemblait à nul autre. J'étais hors du temps et je rêvais la vie.

À cette époque, je ne me souciais pas tellement du monde qui m'entourait. Il ne m'intéressait pas à vrai dire. Comme beaucoup d'enfants, je ne pensais qu'à jouer sans contraintes ni barrières. Les préoccupations des adultes m'importaient peu. Je n'y entendais rien de toute façon. Ils gesticulaient, parlaient fort avec des mots que je ne comprenais pas et fronçaient les yeux tout le temps. Ils me faisaient un peu peur. Je crois que je me sentais impressionnée par leurs gros yeux qui me regardaient avec un drôle d'air et qui me toisaient de haut en bas. Et je détestais ça. Je ne comprenais pas pourquoi ils avaient toujours cet air si sérieux, pourquoi leur visage faisait des grimaces en même temps qu'ils soufflaient et s'essoufflaient avec leur grosse voix et leurs mots qui résonnaient comme le tonnerre.

Non, vraiment, ces géants n'avaient rien d'attirant.

Heureusement pas tous, et pas tout le temps. Ils pouvaient aussi être gentils et attentionnés. Ça, je l'avais bien remarqué. Mon père et ma mère étaient de ceux-là. Ils prenaient soin de moi et me donnaient autant d'amour qu'ils le pouvaient.

L'amour, vous savez ! C'est ce truc qu'on se donne les uns et les autres. Ça passe par les yeux avec une petite lumière qui s'allume dedans et qui éclaire. Elle a une forme de cœur. Il y en a dans les mots qui chantent à l'oreille mais aussi dans les gestes. Ça chatouille et ça donne des frissons ; c'est agréable. Il paraît qu'il y en a aussi dans les attentions, mais je ne savais pas trop ce que c'était, moi, les « attentions ».

Ce qui était certain, c'est que j'aimais bien l'amour, qu'il soit dans les yeux, dans les gestes ou même dans les « ATTENTIONS ».

Ce terme fut d'ailleurs longtemps un mystère pour ma compréhension d'enfant.

Malgré tout cet amour, je trouvais quand même que les adultes qui m'entouraient avaient bien plus souvent des éclairs dans les yeux que la jolie lumière en forme de cœur dedans. Alors je préférais rester loin d'eux et me concentrer sur mes petits glands, parce que le tonnerre, je n'aimais pas ça du tout.

Ils grondaient, râlaient, pestaient, étaient souvent agacés. Ce qui me faisait penser que j'avais fait quelque chose de mal ou qui dérangeait. Alors, je ne savais plus ce que je devais faire et je gesticulais dans tous les sens. En fait, j'essayais de faire un peu comme eux. Je m'exprimais en râlant, pleurnichais même, criais, mais personne ne comprenait. Ce mode de communication n'avait effectivement pas l'air d'être très efficace. Les gens me regardaient de travers et je me sentais encore plus mal, PAS à ma place, PAS comme il faut : Une puce sous un caillou. Je ne savais pas comment je devais être pour que les grands arrêtent de froncer les sourcils et cessent de me souffler dessus. Je voulais juste que tout le monde soit content, comme mes petits glands sous le chêne mais je ne savais pas ce que je pouvais faire pour changer les choses. Je me sentais impuissante. Je ressentais tous les tumultes de leur cœur sans les comprendre et cela m'étouffait.

Et puis, ce qu'ils disaient qui me dérangeait. Leurs mots n'avaient pas plus de sens. J'en ai finalement conclu que les choses importantes n'étaient pas les mêmes pour eux et pour moi.

Plus tard, alors que j'avais un peu grandi, ma grand-mère se sentit dans l'obligation de me faire un topo magistral sur la vie. Enfin, ce qu'elle en avait perçu de la longue expérience. Et là encore, ses mots ne trouvèrent aucun chemin, aucune résonance. Je me contentais alors de la regarder avec mes yeux tout ronds de poisson coincé dans un bocal. Je pense encore aujourd'hui qu'elle n'a jamais été dupe. Elle avait déjà compris que le filtre était déjà en place et que rien ne pourrait y changer quoique ce soit, même les mots les plus percutants.

« La vie, ma petite fille, est difficile.

Le monde est dur tu sais et

il te faudra t'endurcir un peu plus.

La vie est pleine de chagrins et d'injustices.

Il n'y a que très peu de beauté dans ce monde

Et les gens sont égoïstes et mauvais.

Et toi, tu es bien trop naïve, trop crédule, trop ci, trop ça... et pas assez ci ou ça.

Il te faut avoir les pieds sur terre ma petite

et grandir vite.

Ne te fais pas trop d'illusions ;

Les hommes ne sont pas de belles créatures.

Apprends à te protéger.

Écoute-moi ! Cesse de rêver comme ça.

Cela ne t'apportera que déceptions

Et amertume. »

Et même quand ils ne me parlaient pas directement, j'entendais des choses, des conversations à mon sujet.

"Cette enfant est dans la lune, elle est bien trop rêveuse.

C'est bien mignon toute cette imagination, mais dans quel monde vit-elle ?

Il faut lui remettre quand même un peu les pieds sur terre et la préparer à affronter la vraie vie.

Qu'elle le veuille ou non, il faudra bien qu'elle s'adapte à notre monde et à son fonctionnement."

Ce que je voyais, ce que j'entendais et ce que je ressentais ne me plaisait pas. Bien que toute petite, je savais que ce que j'étais et ce que je voulais vivre n'était pas « bizarre, ou trop ci ou trop ça ». Tout cela ne voulait rien dire.

Non, vraiment,

Ces autres ne sont pas ce que je veux être.

Non, je ne serai pas cela.

Je ne veux pas faire partie de ce monde.

Je me construirai une bulle.

À l'intérieur, tout y sera bleu,

doux et calme, mais surtout,

Les autres n'y seront pas et n'y seront

certainement pas invités.

Et petit à petit, sans même que cela ne se voit vraiment, "La bulle" se forma autour de moi.

Selon le temps, elle roulait, virevoltait, se déformait, lorsque l'orage grondait ou face à une grosse tempête. Mais je ne craignais plus rien car je me retrouvais toujours la tête dans le bon sens. J'étais intouchable.

Elle devint mon refuge, mon havre de paix, mon jardin secret, l'endroit où je pouvais ÊTRE, mon TOUT.

Elle devint mon refuge, mon havre de paix, mon jardin secret, l'endroit où je pouvais ÊTRE, mon TOUT

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la BulleWhere stories live. Discover now