56/ Se fondre dans la masse

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Allegra comprend ce qu'a voulu dire Ari au sujet de l'impossibilité de les poursuivre. Ils arrivent brusquement devant un ponton minable et décati contre lequel attend un petit hydroglisseur. À peine sont-ils assis dedans que des coups de feu éclatent.

— Vous poussez ce levier, moi je m'occupe de ces abrutis, dit Ari en pointant son arme vers leurs poursuivants.

Le regard d'Allegra passe du levier au néo-zélandais. Il la prend pour Lara Croft depuis une heure, et maintenant, il la cantonne au second rôle ?! Alors, Lara Croft, elle ne se contente pas de pousser des leviers, d'abord ! Lara Croft, quand elle en a marre qu'on lui tire dessus, elle se bat comme une lionne ! Et Allegra en a ras la patate de toute cette pagaille dont elle ne retire rien de bénéfique sinon des courbatures, des égratignures, une veste Dolce & Gabbana ruinée, une blessure par balle – superficielle, certes, mais quand même ! On l'a suturée. Elle va avoir une cicatrice ! -, et un job perdu ! Elle aussi est une lionne ! Elle va se battre !

— Je préfère prendre le fusil, réplique-t-elle en lui arrachant l'arme des mains.

Cette fois, c'est Ari qui est interloqué, mais il ne le reste pas longtemps. Il entend sauver sa peau, il se jette sur le levier en s'asseyant et crie un « accrochez-vous ! » retentissant.

La jeune femme a déjà passé un bras dans une armature, et elle vise les premières silhouettes qui apparaissent dans la végétation. Ça n'est pas idéal pour atteindre sa cible. Mais elle ne cherche pas le résultat. Elle se veut surtout dissuasive. Et elle y parvient.

Quand l'embarcation est assez loin, elle vient s'asseoir sur l'un des deux sièges positionnés en contrebas de celui du pilote.

— Vous avez appris à vous servir d'une arme où ?

— À New-york. J'aime bien apprendre des trucs propres à la culture des pays que je visite. En plus de la langue que je connais normalement. Au Japon, j'avais commencé l'apprentissage du Kyûdô et de l'Ikebana.

— Je ne sais même pas de quoi vous parlez... mais apprendre le tir à New York ? La logique, c'est quoi ?

— Au États-Unis, les armes à feu divisent mais font partie intégrante de la culture. J'ai aussi appris à monter à cheval et à lancer un lasso là-bas.

— Et ici ? Vous comptiez apprendre quoi ?

— Je ne sais pas encore. Votre pays est un monde à découvrir pour moi. J'aurais bien trouvé quelque chose...

— Ou pas. Même si, maintenant que je vous ai vue avec une arme, je vous imagine bien tatouée à nous faire un haka, cela dit...

Allegra éclate de rire à cette idée. Pour elle qui a horreur des piqûres... le tatouage est un enfer qu'elle se garde bien d'approcher. Quant aux haka... vu sa carrure, il ne faudrait pas avoir peur du ridicule...

— On va où maintenant ?

— Au milieu de nulle part pour vider votre sac. Au sens littéral, hein !

— Ça me paraît une bonne idée.


Le traceur n'a pas été mis par Fox. Il l'a juré. Il a pisté Allegra grâce à son habilité à détourner les réseaux de surveillance multiples et variés. Pourtant, il y a bien un traceur. Il a été collé sur la dernière couverture de son passeport français, à l'abri des regards. Ari ne se questionne pas sur le pourquoi du comment. Il se contente de décoller l'objet avant de le balancer dans l'eau et de repartir.

Lorsqu'ils reviennent sur la terre ferme, c'est dans un petit port de plaisance abrité dans une crique. Une voiture les attend sagement. Les clés sont à la capitainerie. Ari échange quelques mots avec le gardien dans une langue qu'Allegra ne comprend pas, et ça la perturbe. Si elle est traductrice, c'est aussi parce qu'elle aime comprendre. Elle déteste se sentir frustrée par son incapacité à communiquer.

— Mettez-vous à l'arrière et dormez, dit simplement Ari en montant dans le SUV flambant neuf.

— C'est encore loin ?

— Quelques heures. Mais vu que les choses ne sont pas simples, mieux vaut se reposer quand on peut. Donc dormez. Vous avez l'air claquée.

Parce qu'elle l'est. L'adrénaline injectée par la peur a disparu. Elle n'est plus qu'une femme au bout du rouleau, prête à tout pour un lit et un truc à manger. N'importe quoi. Elle songe au monticule de nourriture qu'elle a à peine picoré dans la chambre d'hôtel, le matin même. Ça lui semble être arrivé il y a un siècle.

Avant de poser sa tête sur le siège arrière, elle murmure pour elle-même autant que pour son chauffeur et protecteur.

— Vous avez remarqué que nous n'avons pas été blessés ? Ils tiraient vraiment mal, ces types...

« Ou ils cherchaient seulement à nous ralentir pour vous attraper vivante. Ce qui n'est pas une meilleure nouvelle », pense Ari par devers lui en jetant un œil à la jolie rousse qui s'est endormie.


Les tribulations d'Allegra MullerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant