5/ La fameuse rencontre fortuite or not fortuite

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Devant le déluge d'eau de cette fin de soirée, Allegra recule sans cesse face à l'inévitable. Jusqu'à ce qu'elle n'ait plus le choix. C'est-à-dire quand le responsable de la sécurité verrouille toutes les portes et part faire ses rondes. Allegra se résout au pire et quitte donc le hall silencieux de Takahashi Tech à contrecœur.

Les rues se sont transformées en rivière en cru. Allegra marche au pas de course en serrant son parapluie aussi fort qu'elle le peut, car le vent est de la partie. Elle regarde à peine devant elle, et les autres pauvres hères qui, comme elle, tentent de trouver un abri même temporaire, ne sont pas plus attentifs. C'est la débandade. Elle qui aime la tempête, elle est servie. Néanmoins, force est de constater qu'elle l'apprécie beaucoup plus quand elle n'est pas aux prises avec.

Soudain, une bourrasque plus sournoise que les autres retourne sans préavis son parapluie. Et par effet immédiat, l'averse semble se concentrer sur elle.

— Merde ! jure-t-elle en jetant de rage le cadavre de toile ruisselant dans la première poubelle venue.

Grâce à son œil affûté de chasseuse de bonnes affaires, elle avise un pas de porte à peu près au sec. Les lumières du magasin sont éteintes. Juste ce qu'il lui faut pour attendre une accalmie. Elle se colle à la porte avant de regarder avec consternation ses mocassins imbibée. Son chapeau de pluie ne goutte plus, il ruisselle, et elle sent ses cheveux trempés dessous ! Imperméable, mon œil ! Elle ira râler au magasin d'ici la fin de la semaine, juste pour se venger de cette soirée pourrie ! Elle farfouille dans son sac à la recherche d'une quelconque solution à son problème immédiat. Elle se prend pour Mary Poppins, mais échoue lamentablement.

C'est au moment où elle relève les yeux, consciente de son échec face à l'humidité qui s'est emparée de tout son être, qu'il apparaît.

Il court sous la pluie. Il semble très, très pressé. Mais qui ne le serait pas sous ce déluge d'eau ? Il la voit et se précipite vers elle. C'est inattendu et plutôt ennuyeux. Allegra n'est pas prête à partager son miraculeux abri avec un inconnu.


Dieter court à perdre haleine. Il est furieux. Il s'est fait repérer un peu trop facilement pour que ce soit un hasard. Il est convaincu d'avoir été doublé. Mais par qui et pour quelle raison ? Les réponses seront pour plus tard. Heureusement, il se félicite d'avoir eu les bons réflexes. Ses poursuivants n'ont pas vu son visage, juste son dos. Ils n'ont donc que très peu d'informations sur lui.

Toutefois, pour le moment, il n'a pas trente-six solutions dans la situation où il se trouve. Il lui faut, soit une diversion, soit une méga-cachette. Dès qu'il voit la fille colorée, il sait qu'il a trouvé les deux. Personne ne s'attendra à ce qu'un type en fuite s'arrête faire la causette à une nana aussi mal habillée sous un déluge d'eau. Surtout s'il s'arrange pour faire plus que la causette. Il se met immédiatement en mode séduction fatale.


— Excusez-moi. Je peux m'abriter avec vous ? embraye-t-il aussitôt qu'il a rejoint Allegra.

Et il ôte sa veste trempée révélant sa chemise blanche presque aussi humide, et donc... légèrement transparente. Il s'ébouriffe les cheveux. On croirait une pub pour un parfum masculin avec un mannequin ou un acteur qui regarde la caméra de manière intense, genre « moi, mâle hyper sexy, désire femelle sur le champ ».

C'est pas humain d'être aussi attirant naturellement ! Et en plus, sous la pluie ! Elle, elle doit avoir l'allure d'une femme désespérée sur le point de se jeter d'un pont avec son pantalon cigarette bleu électrique, sa veste rose détrempés, son mascara sur les joues et son chignon malmené sous un chapeau de pluie aussi jaune que lamentablement inutile.

Pragmatique, Allegra opte immédiatement pour la tactique « femelle non consentante et revêche ». Elle se tient bien droite contre son petit bout de mur, fait mine de n'avoir pas vu le torse musclé, ne sourit pas, et va même jusqu'à le fusiller du regard. Après tout, il envahi de manière assez cavalière son espace vital !

Et puis d'abord, même si certains l'appelle encore « mademoiselle » parce qu'elle fait plus jeune que son âge, elle a bientôt trente ans et n'entend pas être abordée comme une étudiante.

Devant son silence buté, l'inconnu – qui doit avoir le même âge qu'elle, plus ou moins – se racle la gorge et lui tend la main en se présentant.

— Matthew Fox, ment Dieter Wolf en s'inclinant légèrement comme le font les japonais, mêlant ainsi les deux traditions sans aucun effort.


Les tribulations d'Allegra MullerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant