53/ Et la morale, bordel !

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Furieuse, Allegra se retourne vers le porteur de parapluie, prête à lui hurler dessus, mais elle s'arrête en le voyant. Le type fait bien deux mètres. Boule à zéro. Un coté de son visage est tatoué. L'autre sourit. Il porte un costume impeccable, mais qui le serre aux emmanchures. Pas de cravate. Impossible avec un tel cou... quand elle a parlé de gorille, elle ne croyait pas si bien dire. Ce type est une montagne de muscles.

La jeune femme se frotte les yeux un instant avant de répondre.

— Écoutez, je n'ai rien contre vous, mais là, je commence à en avoir marre. Je vais de ce pas à l'ambassade de France pour reprendre le cours de ma vie, puis je file à l'Alliance Française d'Auckland pour me présenter et peut-être obtenir le poste que je voulais. Ensuite, je me trouverai un logement. Enfin, je m'achèterai quelques vêtements et de la nourriture. Le programme est simple. Il ne comporte aucune course-poursuite. Aucun coup de feu. Aucun saut de l'ange dans l'océan. Aucune fuite en bateau, ni en avion. Et certainement pas l'utilisation de ce passeport au nom de Daphné Blake ! Est-ce clair ?

— C'est très clair, mais ça n'est pas ce qui va arriver.

— Pardon ?

Le colosse ne prend même pas le temps de répondre. Il replie dextrement le parapluie et attrape la jeune femme comme si elle n'avait pas pesé plus qu'une plume. Il la pose sur son épaule délicatement et part à grands pas vers un énorme pick-up noir. Une fois qu'il l'a posée à l'intérieur de l'habitacle, il attache sa ceinture et referme la portière avant de faire le tour du véhicule et de monter à son tour.

Bien sûr, Allegra n'est pas restée silencieuse et calme, elle a juré, frappé et tente de se soustraire à la ceinture de sécurité qui ne veut pas sortir de son logement. Dès qu'il est monté, l'énorme main du colosse s'abat sur celle minuscule d'Allegra et la déplace.

— Je vous invite à prendre patience. Vous serez bientôt en sécurité.

Allegra ne répond rien. Elle attrape le téléphone et compose l'unique numéro enregistré. Dès que Fox décroche, elle l'injurie encore. Il ne prend pas la peine de répondre. Il se contente de raccrocher. Stupéfaite, la jeune femme regarde son téléphone avec incrédulité.

— Il a raccroché ! Questo stronzo ! Il a osé raccrocher ! Je vais le tuer.

Le colosse étouffe un rire en secouant brièvement les épaules.

— Ça vous fait rire ?!

— C'est que, mademoiselle, connaissant le travail de Shade, vouloir le tuer est assez audacieux.

— Vous dites ça comme si... comme si son travail ne vous dérangeait pas !

— Il ne me dérange pas.

— Vous approuvez qu'il vole et tue des gens pour de l'argent.

— Il ne fait pas que ça. Et puis, il ne faut pas juger les gens simplement sur des principes moraux d'une société particulièrement hypocrite concernant les principes fondamentaux que sont la vie, la mort, l'amour etc.

— Un philosophe ?! Je suis avec un philosophe tatoué ?!! s'exclame Allegra. C'est le pompon !

— Par ailleurs, si je puis me permettre, votre plan initial comporte un obstacle de taille.

— Ah, oui ? Lequel ?

— L'ambassade est à Wellington. Pas à Auckland.

— Ah... finit par dire la jeune femme en croisant les bras sur sa poitrine avec un air renfrogné.



Dieter désactive son oreillette. Il ajuste la lunette de son fusil. Le tir à longue portée est l'une de ses spécialités. Ça permet l'élimination sans bavure de cible normalement hors limite d'un tueur traditionnel. Et puis, ça évite les dommages collatéraux, les crises d'hystéries. Le bruit et la fureur. Les courses poursuites aussi.

Dieter appuie sur la détente et sait avant de voir, que le tir est parfait. Il le valide cependant grâce au drone en vol stationnaire au-dessus du jardin dans lequel se déroule le cocktail. Personne ne se doute que cet engin ne fait pas partie de la flotte du cinéaste amateur qui filme la cérémonie depuis le ciel pour le compte des mariés.

Le contrat était facile, malgré l'emplacement de la cible. Un jardin en haut d'un gratte-ciel. Heureusement, Ari avait collecté toutes les données nécessaires en amont pour que le tir soit réalisable en un temps record. Une fois dans sa voiture, Dieter réceptionne le drone et disparaît. Celui qui l'a trahi concernant le contrat japonais a payé. Maintenant, il lui reste l'anguille chinoise. Ari l'a repérée. En route pour Auckland, bien sûr.


Les tribulations d'Allegra MullerWhere stories live. Discover now