12/ La réception de monsieur l'ambassadeur

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Dieter a visité l'appartement de la cible à Tokushima sans rien trouver – mais une chatte n'y aurait pas retrouvé ses petits malgré l'exiguïté du lieu. Il est maintenant dans la chambre d'hôtel que la jeune femme a réservée à Kyoto, qui, en comparaison, est dans un ordre quasi monacal. Il croit savoir à quoi s'en tenir en envisageant de fouiller dans le sac posé sur le fauteuil. Il se trompe. Ce qui l'attend est pire.

Il sait que les femmes vivent une histoire étroite et intime avec leur sac à main. Elles peuvent n'en avoir qu'un ou plusieurs, rien ne change. Cet accessoire hautement symbolique aura toujours un rôle essentiel dans leur existence. Il peut aussi bien contenir le strict minimum que l'intégralité de leur vie. Et à voir la grosseur de celui de cette demoiselle, il est prêt à parier sur un joyeux bordel intérieur digne du pire enfer d'un méticuleux dans son genre à lui. La clé doit forcément être dissimulée dans les méandres dantesques de l'accumulation qui gonfle le cuir jaune de cette besace hors de prix. Hélas, ça n'est pas le cas. Scheisse ! Allegra Muller a décidé de déjouer les pronostics !


L'ambiance est guindée comme à chaque fois, mais les petits fours sont délicieux, et l'alcool de qualité. « L'ambassadeur » sait recevoir. Allegra sourit en pensant à ces vieilles pubs pour des chocolats où il était question d'ambassade. Heureusement, l'expression du « bon goût » a changé.

C'est vrai qu'il y a toujours des coiffures improbables et des tenues parfois stupéfiantes, mais en règle générale, ça reste light en termes d'originalité. Même elle, n'a pas fait de folie pour cette réception à l'Institut français de Kyoto.

Allegra porte une robe d'un beau rouge cerise avec un timide décolleté et une jupe à large plis plats qui descend sagement jusqu'aux genoux. Rien d'extravagant. Elle voit au moins deux ou trois invitées plus voyantes qu'elle, dont une en fourreau lamé or qui pourrait sincèrement se présenter aux réceptions de l'ambassadeur des année 80. Elle aurait été dans le ton.

— Mlle Muller ? Quel plaisir de vous voir parmi nous, dit une voix masculine derrière elle.

Allegra se tourne en souriant vers le PDG de Takahashi Tech, Takeo Shimada. L'homme est accompagné d'une femme à la beauté froide et sculpturale, dont la longue chevelure noire forme une étoffe brillante sur son épaule droite. À son prénom - Haimeï -, Allegra la devine chinoise d'origine.

La jeune française est fascinée. Elle songe au temps qu'il lui a fallu pour réussir son chignon tressé et rêve d'avoir des cheveux aussi soyeux. Elle aurait presque envie de toucher. Elle se retient. La fille la fusille littéralement du regard.

Une mannequin sans doute. Shimada est réputé pour être un séducteur invétéré et un homme à femmes. Encore célibataire, il s'affiche très régulièrement avec ses conquêtes du moment. Il ne craint pas de salir son honneur ou sa réputation. D'abord, il est connu comme extrêmement généreux avec celles qu'il quitte. Ensuite, il est un acteur majeur dans l'économie des nouvelles technologies grâce à un ou deux procédés révolutionnaires dont il garde jalousement le secret.

— M. Shimada. J'ignorais que vous seriez là ?!

— Moi non plus je ne m'attendais pas à votre présence. Vous êtes bien loin de Tokushima.

— J'ai été invitée sur demande. Le directeur de l'Institut a voulu s'assurer la présence de plusieurs interprètes, au cas où. J'étais disponible et référencée à l'ambassade.

— Je vous ai pourtant confié avant hier une mission de la plus haute importance.

— Oh, mais n'ayez crainte ! J'y travaille. Mais j'aime que mes traductions évitent le plus d'ambiguïtés, et ce d'autant plus, quand le document est important.

Shimada sourit en volant deux coupes de champagne sur un plateau. Il en tend une à Allegra et ignore sa compagne qui prend immédiatement une pose boudeuse. Même comme ça, elle est belle.

Allegra accepte le verre sans sourire cependant. Dès qu'elle a rencontré Shimada cinq mois plus tôt, elle a immédiatement compris quel genre d'individu il était. Très beau, séducteur à l'excès, assidu, si on n'y prend pas garde. Un batifoleur compulsif au sourire pepsodent et à la mine réjouie du type à qui tout réussit. Un peu son genre, mais pas judicieux vis-à-vis de sa nouvelle résolution côté mec.

Elle se fait donc violence pour lui résister, ce qui, contre toute attente, ne l'a pas contrarié. Au contraire. Shimada aime également s'entourer de belles créatures compétentes et industrieuses. Ce qui est suffisamment rare pour être apprécié. La contrepartie à cette étrange combinaison, est qu'il faut accepter le flirt permanent et les flatteries en nombre, tout en étant sur ses gardes. Deux choses qui ne dérangent pas Allegra puisqu'elle ne travaille pas, ou peu, dans les locaux de Takahashi Tech. De l'avantage d'être freelance.

Sans heurt, Shimada envoie sa compagne au buffet et entraîne Allegra à l'écart.

— Sans vous presser, je tiens à préciser que le travail que je vous ai confié est urgent et particulièrement confidentiel. Ne laissez rien traîner.

— Oh ! Pas d'inquiétude. Vous avez été très clair. S'agit-il d'un nouveau procédé ?

Shimada sourit avant de murmurer :

— Moins vous en saurez, mieux ce sera, ma chère.

— Pas de problème. La traduction du contrat proposé sera sur votre bureau d'ici à demain soir. Au plus tard lundi matin.

— Merci, Mlle Muller. Je savais que je pouvais compter sur vous.

— Je suis étonnée, cependant. Pourquoi me confier cette tâche, si elle est si confidentielle ? Pourquoi pas à la personne habituelle au sein de l'entreprise, M. Otori ?

— Il se trouve que j'ai eu quelques... Non. Rien, Mlle Muller. Moins vous...

— ... En saurez, mieux ce sera. J'ai compris. Pas de problème, finit Allegra en souriant avant de boire une gorgée de l'excellent champagne qu'on lui a servi. La jeune femme sait quand il ne faut pas insister.


Les tribulations d'Allegra MullerOpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz