Chapitre 15

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Adèle marchait rapidement dans les rues, se faufilant entre les passants qui allaient, eux, beaucoup trop lentement. Elle était partie tellement vite de chez elle qu'elle n'avait même pas pris la peine de fermer son manteau, qu'elle maintenait fermé à l'aide de sa main. Le mois d'avril n'arrivait pas à se décider entre les beaux jours d'été et la fraicheur de l'hiver.

Les rues défilaient les unes après les autres, et Adèle sentait son stress augmenter à chaque pas. La gare n'était plus qu'à quelques rues, elle le savait. Une partie d'elle voulait y arriver le plus vite possible, alors que l'autre partie n'attendait qu'une seconde d'hésitation pour rebrousser chemin et passer les trois jours suivants enfermés dans sa chambre. Noyée par les centaines de questions qui se mélangeaient dans sa tête, Adèle eut presque un sursaut lorsque, après un énième virage, le bâtiment de la gare apparut devant elle. Immense, l'ancien mur de brique rouge avait été conservé, alors que la face d'entrée était faite de grandes baies vitrées au travers desquelles on pouvait voir la gare, le hall d'entrée bondé de voyageurs.

La jeune fille s'immobilisa. Parfois, c'est toute une vie qui se joue sur quelques heures à peine. Sur une décision prise à 3 heures du matin. Cette journée-là faisait partie de moments comme ça. Quoi qu'il arrive, Adèle savait qu'elle ne ressortirait pas de cette gare idemme. Voilà quatre mois qu'elle brûlait de poser des questions, voilà quatre mois qu'elle voulait des réponses. Les réponses allaient venir, mais la jeune fille doutait soudain de sa volonté de les obtenir. Une vibration dans sa poche sortit Adèle de sa rêverie. Elle lut le message qui s'affichait sur l'écran.
"Surtout, appelle-moi ce soir, je veux tout savoir !"
Il n'en fallut pas plus pour Adèle. Elle se remit en marche.

Le bâtiment était rempli de personnes qui traînaient derrière elles des valises plus ou moins grosses. Les voyageurs cherchaient leur train, certains pressés et anxieux, d'autres avec l'allure assurée des habitués, les parents occupaient leurs enfants pour faire passer l'attente, les amis passaient leurs dernières minutes ensemble en riant, pour oublier qu'on ne se voit que quelque jours par an.

Au milieu de tout ce monde et cette activité, Adèle s'oubliait elle-même, elle oubliait presque pourquoi elle était là. Mais bien sûr, il ne fallut pas longtemps pour que ses pensées convergent à nouveau vers Bastien. Elle jeta un coup d'œil à son téléphone : 16 H 33. Il allait arriver dans une dizaine de minutes.

Adèle respira profondément, tout en essayant de relativiser. Elle ne comprenait toujours pas comment elle avait pu appeler le jeune homme en pleine nuit, si soudainement. Pourtant, il lui suffisait de fermer les yeux pour retrouver la sensation étouffante de peur, de solitude, d'angoisse qui l'avait envahie cette nuit-là et qui l'avait poussée à prendre son téléphone. Et alors, tout s'était enchaîné si vite. La colère, la rancœur, l'incompréhension, le besoin vital de parler, de tout dire, d'enfin se libérer de ce poids qu'était le silence. Elle espérait que, d'une certaine manière, cela avait aussi aidé Bastien. Lui aussi devait certainement avoir besoin de parler.

16 h 39. Les minutes passaient avec une lenteur déconcertante, et pourtant, si elle le pouvait, Adèle aimerait arrêter le temps. Stopper les choses, là, maintenant. Ne jamais avoir à affronter l'arrivée de Bastien. Le ferait-elle vraiment ? Juste avant de le revoir ? Le mélange étrange de l'impatience et de l'incertitude lui donna mal à la tête. Elle s'assit sur un banc, priant pour faire cesser les bruits alentour. À quoi cela servait-il de douter ? Maintenant qu'elle était là, il n'était plus question de fuir.

16 h 42. L'aiguille des secondes semblait tourner au ralenti sur sa montre, et Adèle ne se rendit même pas compte qu'elle avait les yeux fixés sur cette dernière depuis plusieurs secondes déjà. La jeune fille se sentait pâteuse, engourdie. Était-ce dû au stress ? Elle pouvait entendre les battements rapides et forts de son cœur qui résonnaient à ses oreilles. L'angoisse la prenait de plus en plus. Mais pourtant, tout au fond, derrière la peur et l'anxiété, il y eut une minuscule lueur. Un rien du tout, comme un reflet de lumière, bref et à peine visible. Et pourtant bien là. Une petite lueur qui grandit, qui se fraya un passage difficile à travers l'obscurité de la peur. Cette peur si prenante et imposante, si noire et opaque, si indestructible et étouffante. Le rythme cardiaque de la jeune fille commença à légèrement ralentir, devenant plus régulier. Sa respiration se fit plus profonde et légère.

16 h 46. La jeune fille serra les poings, faisant cesser les tremblements de ses mains. Loin de la gare, des voyageurs et des trains, Adèle se focalisait sur ce sentiment, timide et incertain. Elle s'y accrocha et tint bon, même si les questions dans sa tête ne cessaient pas.

Un énième train entra en gare, s'immobilisa, puis les portes s'ouvrirent. Adèle observa distraitement les voyageurs qui en sortaient. Elle ne cherchait même pas Bastien, trop occupée et fébrile, concentrée sur ce qui se déroulait en elle. Le flot de passagers descendant du train se réduit enfin, les voyageurs sortaient du wagon au compte-gouttes. Finalement, tout le monde fut descendu, il n'y avait plus personne.

Adèle sentit alors une légère pression sur son épaule. Avec un sursaut, elle se retourna. La première chose qu'elle vit fut ses yeux, marrons foncés, bien plus foncés que les siens, mais pas non plus noirs. Deux yeux couleur café qui la regardaient. Puis le regard d'Adèle glissa, sur le nez, les joues, les lèvres. Elle détailla chaque partie du visage, comme recollant les morceaux d'un rêve épars et lointain. Il ne bougea pas, la main toujours sur l'épaule de la jeune fille. À vrai dire, il avait oublié comment bouger. Tout son être était focalisé sur elle. Le temps s'était arrêté. Elle était là, juste devant lui. Ses longs cheveux bruns s'éparpillaient dans son dos, alors que quelques mèches rebelles venaient danser sur son front, devant ses yeux. Ses si beaux yeux clairs, marrons comme les feuilles d'automne, ou plutôt comme un chocolat chaud le matin.

Ni l'un ni l'autre ne savait combien de temps ils étaient restés ainsi, alors qu'autour d'eux le monde continuait de tourner. Personne n'osait parler, de peur de briser cette bulle qui les entourait. Qu'arrivera-t-il lorsqu'ils commenceront à discuter ? L'incertitude les clouait sur place et leurs regards étaient verrouillés l'un dans l'autre. Même s'ils avaient voulu, ils n'auraient pu détourner le regard.

Un temps intangible s'était écoulé, lorsque enfin, Adèle réalisa. Les questions dans sa tête s'étaient tues. Elle comprit, aussi soudainement et simplement, comme une évidence, ce qui était en train de se passer. Des semaines d'incertitudes et de doutes, pour finalement quelque chose d'aussi simple. Bastien sentit le changement chez la jeune fille, il fronça les sourcils, curieux et inquiet. Il s'apprêta à parler lorsque Adèle fit le premier mouvement. Elle réduisit d'un pas la distance qui les séparait et posa simplement ses lèvres sur celles de Bastien. La suite ne fut que logique et évidente. La jeune fille laissa ses mains jouer avec les mèches de cheveux de Bastien, tandis qu'il l'attirait un peu plus à lui, les mains sur ses hanches. Le moindre espace qui oserait s'immiscer entre eux deux lui semblait inconcevable.

Adèle rompit la première le baiser, le cœur plus battant que jamais. Elle souriait, sans même s'en rendre compte. Pourquoi s'était-elle posée tant que questions, alors que les mots paraissaient ne plus avoir aucune importance. À vrai dire, elle n'avait plus aucune question à poser, et elle n'avait plus besoins d'aucune réponse de Bastien, toutes les réponses qu'elle cherchait tant se trouvaient là, entre eux. Mais le eune homme n'était pas de cet avis. Il plongea son nez dans le cou d'Adèle, respira son odeur si douce et agréable, alors que quelques mèches venaient le chatouiller. Il remonta les lèvres jusqu'à l'oreille de la jeune fille et murmura si faiblement, pour qu'elle seule puisse entendre, les mots qui lui semblaient à lui si important :

- Je t'aime.


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