❄ - Chapitre 9 - ❄

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3 décembre 2021 – Bordeaux – Regina,

— J'aime quand tu viens me chercher à l'école après ton travail.

Je tourne la tête vers Henry qui me sourit de toutes ses dents. Sa voix enjouée fait bondir mon cœur. Je me montre parfois si tendue et distante que j'oublierai presque la présence de cet organe dans ma poitrine. Avec lui, il n'y a aucune chance que cela se produise. Il me rappelle à chaque fois ce que je suis au-delà des apparences, au-delà des nombreux masques que je m'inflige.

Mes yeux ne le quittent pas pendant que nous nous promenons dans les rues de Bordeaux. Les sourcils froncés, mon fils se concentre pour éviter les plaques de verglas qui parsèment le trottoir. De sa main libre – l'autre tient la mienne –, il se frotte le visage autant que ses moufles le lui permettent. Habillé de son épais blouson et de son écharpe à rayures grises et rouges, il ressemble à un esquimau. Je l'observe un instant, attendrie par sa démarche maladroite. Le bout de son nez ainsi que ses joues rougis par le froid qui nous assaille accentuent son air mignon.

Ces derniers jours, les températures dégringolent sans arrêt. Le pare-brise de ma voiture était recouvert d'une fine couche de glace ce matin ; j'ai dû le gratter durant des heures avant de partir. En cette fin d'après-midi, quelques flocons tombent du ciel avec délicatesse. La bouche grande ouverte, Henry tente d'en attraper un. Lorsqu'il réussit enfin, son hurlement aigu me vrille les tympans. Mes traits se déforment en une légère grimace, vite remplacée par un tendre sourire. Tant pis. Le voir si heureux vaut toutes les oreilles douloureuses du monde.

Une soudaine sensation de fraîcheur m'arrache un bref sursaut. Sous mon élégant manteau noir, quelque chose glisse le long de mon dos. Je me retourne à la recherche d'une explication qui ne tarde pas à s'imposer à moi. Mon fils est accroupi par terre, en train de réunir les faibles traces de neige qui jonchent le sol. Il n'y en a pas beaucoup aux alentours mais il en a trouvé assez pour former un maigre tas devant lui. Et pour m'en jeter dessus par la même occasion.

Les yeux rivés vers le bas, il semble concentré sur sa tâche minutieuse. C'est pourquoi un cri de surprise lui échappe quand je mets ma mini vengeance à exécution. Mon plan d'attaque ? Les chatouilles. Il y est si sensible qu'à peine son ventre effleuré, il se tord dans tous les sens. Entre deux halètements, il s'excuse en ricanant puis me demande de l'épargner. Ses faux iris suppliants plongent alors dans les miens, plus amusés que jamais.

— N'espère pas t'en sortir aussi facilement, Henry Daniel Mills ! C'est bien essayé, petit malin, mais ta bouille adorable ne me fera pas craquer à tous les coups, répliqué-je d'un ton taquin.

Le fort éclat de son rire est si communicatif que je glousse à mon tour. Le mélange de nos deux voix égayées crée un écho mélodieux qui me comble de bonheur. Un moment à la fois simple et merveilleux. Le genre de moment spontané et unique que je voudrais éternel. Hélas, mes réjouissances se cassent la figure plus vite que prévu.

— Emma ! s'exclame Henry, essoufflé. Je suis prisonnier d'une terrible malédiction qui m'empêche de bouger, viens m'aider !

Prise au dépourvu, je me fige puis l'interroge en silence. En guise de réponse, il pointe son index vers l'avant. Je me tourne pour en suivre la direction. Mes prunelles tombent nez à nez avec deux billes mi-vertes mi-grises qui me scrutent. La pointe de douceur qui s'y reflète me laisse pensive. En général, ce sont mes atouts physiques qui attirent son attention. Quoi qu'elle dise, je sais que mon apparence lui plaît. Mon apparence plaît à tout le monde.

Là, ce n'est ni de l'embarras, ni de la haine, ni du désir que je lis dans ses yeux. C'est quelque chose de plus subtil, de plus délicat. Une lueur éphémère qui s'évapore en une seconde. Dès que j'avance d'un pas, son enthousiasme apparent s'évanouit. Son visage se referme comme un coffre scellé à double tour. Il ne me reste plus qu'à en trouver la clé pour arriver à mes fins. Mon objectif est clair : pourquoi je me gênerai ? Quitte à croiser cette idiote partout où je vais, autant en tirer profit.

Opération "attraction glaciale" [SWANQUEEN]Where stories live. Discover now